Cadre commercial, quarante-trois ans, cherche femme. Difficile d’imaginer moins marginal que J.B. Plutôt joli garçon, mince, sportif avec, ce qui ne devrait rien gâter, les tempes qui grisonnent. S’il est timide, c’est du genre volubile, extraverti. Il travaille à Paris, dans l’un des quartiers les plus huppés, près de l’Opéra, pour l’une des marques les plus connues mondialement. Accessoires et produits dérivés de Ferrari. Bagnole, casquette, blouson, briquet, J.B. est Ferrari de la tête aux pneus en passant par le portefeuille semble-t-il confortablement garni. On le saisit au moment où, las d’aventures sans lendemains et dégoûté des « femmes françaises qui n’ont plus que des valeurs matérielles », J.B. part pour la Russie, et pour une petite semaine d’investigation dont il espère revenir avec « une épouse docile », par contraste avec sa première, naguère, vite désastreuse.
Voyage accompagné. Le directeur d’une agence matrimoniale spécialisée dans les rapprochements franco-russes, jouera le gourou, le confident, le psy, assisté d’une interprète blonde comme les plaines. Direction Rostov, car « la Rostovienne est encore plus que la Moscovite attachée aux valeurs familiales ». Dans l’avion, J.B. épluche le catalogue, édité par l’agence, des candidates aux rencontres-et-plus-si-affinités. C.V., photos. J.B. pointe celle-ci qui « a les mensurations que j’aime bien », celle-là qui paraît correspondre à son « cahier des charges perso ».
Un rendez-vous par demi-heure, dans les salons profonds d’un grand hôtel. Irina, Larissa, Tatiana, Etcoetera. « Qu’est-ce qui est le plus important pour vous chez un homme ? » La traductrice traduit, puis la réponse. « Si je rencontre mon prince charmant, bien sûr j’abandonne tout. » Un autre Français, quinquagénaire celui-là, assisté d’une autre interprète, jauge, dans l’alvéole voisine, des extraits du même catalogue. Marina, Helena, Larissa, Chabadabada. Leur cornac surveille, dans les miroirs, la circulation des prétendantes, la température des conversations. Le soir, briefing avec ses assistantes : « Logiquement, on devrait faire un strike ».
J.B. fait son tri. Pas celle-ci, « tristounette, qui l’a regardé avec des yeux de cocker ». Pas celle-là, qui « a fait faute : s’est servie des gâteaux sans m’en proposer ». Quant à cette troisième, hors de question, « elle est trop belle, au premier coup de vent un type va me la taxer, ou dix minutes seule sur les Champs et elle se retrouvera avec cent cartes de visite ». Son marieur tente de rectifier sa vision, « La Russe, si elle est amoureuse, on peut lui amener Brad Pitt, elle ne bouge pas. »
Ainsi de suite, les demoiselles défilent, invitations à dîner, à danser, chastes adieux en taxi. Le troisième jour, J.B. flashe sur Ina, brunette qui, « spontanément », lui a pelé un fruit. « J’arrête avec toutes les autres ». Dès lors, forcing. Lèche-vitrines, parfums par-ci, bottines par là. Pourtant Ina, le soir, ne l’invite pas à monter chez elle. Le lendemain, si. Mais comme sœur et frère. Heureusement, au réveil… J.B. se déclare aux nues. Puis s’empresse de déchanter, « certains mots n’ont pas été prononcés », qu’il voulait absolument entendre. Veut-elle ou non de lui ? Le rejoindre à Paris ? Il repart sans réponse. Revient dix jours plus tard. Elle n’est pas à l’aéroport, odeur de drame. Il découvre qu’il y a dans le paysage une amie, l’ami de l’amie, et Dieu sait qui encore. « On va beaucoup faire dans la complication », prédit-il. Il dégaine à tout-va sa carte de crédit : nouveaux cadeaux, dont un téléphone portable qu’il puisse la joindre depuis Paris. Il connaît maintenant six mots de russe, elle ne fait pas mine d’en apprendre un seul de français. Un troisième voyage, après un mois, sera plus frustrant encore. Lettre de rupture, qui la laisse sans réaction. Il continue à croire que pourtant elle va l’aimer, un de ces jours. Un copain dresse les comptes : tout compris, J.B. a dépensé pour sa quête 21 000 e. « J’ai rien à me reprocher » répond-il. « Sur ce coup-là, j’ai été d’équerre, et même plus que d’équerre ». Il va se lancer dans d’autres, pour conquérir s’offrant comme une conquête, ruisselant de clichés et de peurs, coachant pesamment au passage un jeunot déjà aussi expert que lui en conduites d’échec.
Timothée, perdu, c’est son excuse, dans un désert audiovisuel d’été aux nocturnes oasis olympiques, s’est laissé mollement embarquer derrière « J.B. à la recherche du bonheur », documentaire de Gilles de Maistre et Romain Hamdane, qui s’étalait sur deux mardis et plus de trois heures ! Et quoique assez vite il se soit ennuyé ferme, Timothée s’est accroché : une fois entré dans un récit, il supporte mal, infirmité fort répandue, de ne-pas-savoir-comment-ça-finit. La quête de J.B. l’aura promené, labyrinthique, après la Russie en Tunisie et en Belarus, d’agences matrimoniales en speed dating (dans le noir intégral !), de sites Internet en soirées et clubs de vacances pour célibataires. Et d’un vide à un autre, toujours plus profond. Les sentiments comme marché, le sentiment de n’être et de ne voir que marchandises.
Timothée en ressort trois fois sidéré. Un tel homme existe. La télévision dite de service public lui a consacré tout ce temps. Et lui-même deux soirées d’attention. Où sommes-nous ? En France, l’été 2008, plutôt mal en point madame.
Vu à la télévision Où le célibat blesse
septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96
| par
François Salvaing
Où le célibat blesse
Par
François Salvaing
Le Matricule des Anges n°96
, septembre 2008.