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Domaine étranger Mahomet le Grand

septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96 | par Sophie Deltin

En privilégiant l’intime et l’épique, le roman de Salim Bachi propose un scénario superbement humain du fondateur de l’islam.

Le Silence de Mahomet

Pour qui a lu le cycle romanesque conçu à partir de la ville imaginaire, l’antique et farouche Cyrtha, il ne sera pas si étonnant que ce faiseur de monde au talent distingué de poète qu’est Salim Bachi en vienne dans son nouveau livre, à s’intéresser à la figure imposante - intouchable ? - de Mohammad, le chef des Arabes et fondateur de l’islam. Le pari est ambitieux, mais l’instinct de liberté de l’écrivain, né en Algérie en 1971, l’est plus encore. Le choix assumé de la fiction dit d’ailleurs assez qu’il ne s’agit pas de refaire l’histoire, doxa contre doxa, mais de s’introduire plutôt dans ce qui y fait brèche, cette zone grise que peut seule féconder, quand elle est nourrie de lectures et de réflexions, l’imagination d’un créateur. C’est que la manière de Bachi, tout érudite soit-elle, vibre d’une audace discrète et inspirée. L’originalité du propos tient d’abord à sa tenue, une polyphonie qui décentre et démultiplie les points de vue : quatre voix, quatre « personnages » racontent l’ensemble des faits et gestes de Mohammad à des époques identiques ou différentes de sa vie : portraits en creux ou en relief, épisodes de gloire ou de déroute, qui mettent en lumière les multiples facettes d’une personnalité fascinante tout en restant « simplement (celle d’)un homme » - l’humain, quoiqu’en prise à l’intelligence même du mystère, sera résolument au cœur du récit.
Parmi les quatre figures éminemment romanesques que l’écrivain convoque : Khadija, une commerçante aisée, plus âgée et plus expérimentée que lui, qui engage ce simple caravanier d’alors, l’épouse et en fait un homme reconnu tout en l’encourageant dans sa voie ; Abou Bakr, son ami et intime confident, qui l’accompagnera dans son destin de stratège et de guerrier redoutable (« avec la force réalisatrice d’un Alexandre »), et deviendra à la mort de celui-ci, le premier calife de l’islam ; le général Khalid, que son génie militaire a élevé au renom de « glaive de l’islam », après avoir longtemps été son adversaire féroce ; la passionnée et possessive Aïcha, enfin, fille d’Abou Bakr, devenue encore enfant, la dernière épouse du Prophète…
« Un jour, l’islam sera l’étranger qu’il a commencé par être… »
Dans sa façon de faire varier l’énonciation, sur plusieurs tons, du portrait spirituel du Messager, il n’est pas anodin que l’écrivain ait tenu à inscrire ce double héritage de femmes. Dans la lignée directe d’Assia Djebar, dont il a à cœur de rendre hommage à son Loin de Médine, Salim Bachi nous parle de l’islam à sa naissance, à sa pré-histoire, quand celui-ci reconnaissait que les femmes étaient des « gardiennes » émérites de l’islam, au point de les associer aux assemblées avec les hommes, leur parole valant encore comme gage de transmission… Lorsqu’à 40 ans, Mohammad reçoit la visite de l’archange Gabriel qui lui présente un verset du Coran, n’est-ce pas à Khadija qu’il confie le récit de cette vision, à elle qu’il transmet la révélation ?
Fortement contesté au début de sa prédication, à coups d’injures, de persécutions et de menaces de mort, Mohammad, à l’origine un orphelin né pauvre qui en vient à bouleverser toute la hiérarchie traditionnelle de La Mecque et ses croyances ancestrales, doit bel et bien convaincre, quoique ce fût toujours « avec une grande parcimonie » que le Prophète « usait de cette ferveur lue dans les cœurs et les yeux des jeunes hommes prêts à mourir pour lui »… Avec l’aisance du chroniqueur qui connaît chaque tribu (qourayshite, juive ou « ), chaque généalogie et chaque rivalité intestine à cette société arabe patriarcale du VIIe siècle, l’auteur réussit alors à nous conduire dans les intrigues et les guerres de clans qui se fomentent à La Mecque, bien avant l’Hégire (la Fuite, l’exil vers Médine).
D’une construction judicieusement étudiée, quoique souple, servie par un style à la fois vif et épuré, où alternent des images lyriques et des phrases détachées, la narration s’articule aussi autour des sourates du Livre, que le récit se charge, par l’intermédiaire des mots réhabités par chacun des protagonistes, de mettre en scène, d’incarner. Dans cette mise en écho du texte sacré et du texte profane, le » silence de Mahomet « peut ainsi prendre toute sa profondeur : la part de trouble, de mystère et d’ombre que comporte la parole de l’Envoyé de Dieu qui, quand elle vient à s’éteindre, ouvre inévitablement sur le champ périlleux de la liberté humaine, à partir duquel chacun allant sûr de sa foi et de son anecdote, s’en va réifier l’islam en dogme. » Un jour, l’islam sera l’étranger qu’il a commencé par être… " prévient Mohammad en train de rendre son dernier souffle sur les genoux d’Aïcha. Se profilent déjà le danger du désarroi, l’aporie des guerres d’interprétation à venir, qui sont, comme chacun sait, les plus âpres et les plus ravageuses.

Le Silence de Mahomet de Salim Bachi
Gallimard, 352 pages, 20

Mahomet le Grand Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°96 , septembre 2008.
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