Qui, dans la Hollande occupée par les nazis, a dénoncé Anne Frank ? C’est par le biais de la fiction que Richard Lourie a choisi de répondre à cette question jusqu’à ce jour irrésolue. La singularité du récit, outre de livrer le point de vue du « traître » - Joop, un vieux monsieur qui depuis l’âge de ses 10 ans porte dans le silence mortifère du secret, le poids de cette dénonciation funeste - est d’interroger cette « responsabilité d’enfant » d’alors. Notons qu’il revient à l’irruption inopinée de son frère, qu’il n’a pas vu depuis soixante ans, d’enclencher la libération de la parole : ce petit frère que sa mère avait emmené avec elle à la fin de la guerre pour les États-Unis, et qui fraîchement débarqué, désire maintenant revenir sur les traces de son enfance. Un « petit veinard », raille Joop, « qui a si peu de mauvais souvenirs qu’il doit courir jusqu’en Hollande pour en récolter quelques-uns. » Et il ne va pas être déçu. Tout y passe : la misère et la faim (au point de devoir, au cours du dramatique « hiver de la faim », se nourrir de bulbes de tulipes) ; la peur exercée par un oncle membre du parti hollandais nazi qui reviendra du front de l’Est amputé des deux jambes ; les débrouilles et les sacrifices du garçon obsédé par l’idée de reconquérir l’amour et l’estime d’un père, aigri et violent. Jusqu’à ce que l’étau se resserrant, l’inéluctable en vienne, un jour d’août 44, à se tenir à portée de la main : ce sera la mort assurée du père, faute d’être nourri, ou la délation d’une planque juive, très bien payée par les Allemands.
Sobrement écrit, à la fois précis et habile, le scénario de Lourie ne tient pas à exonérer d’emblée le crime d’un jeune adolescent acculé à subvenir aux besoins de sa famille, d’autant que sa conscience, imprégnée il est vrai par l’antisémitisme ambiant de tout un peuple, n’est pas dénuée de pensées médiocres. Reste qu’à la fin du roman, demeure cette autre ambiguïté : « Tout ce que tu m’as raconté, demande Willem au moment de quitter Joop, c’était vrai, non ? - Est-ce que je mentirais à mon propre frère ? » Le doute est permis.
La Haine des tulipes de Richard Lourie - traduit de l’américain par Sylvie Finkelstein, Noir sur blanc, 164 pages, 16 €
Domaine étranger Trahir ou mourir
juillet 2008 | Le Matricule des Anges n°95
| par
Sophie Deltin
Un livre
Trahir ou mourir
Par
Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°95
, juillet 2008.