Mariquita, petit bourg colombien, un jour de 1992, une bande de guerilleros fait irruption, enrôle de force tous les hommes de plus de 13 ans, abat les récalcitrants sous les yeux de leurs épouses. Dans la ville des veuves intrépides pourrait être l’histoire de ces hommes ; c’est au contraire celle de leurs femmes restées seules au village durant la décennie qui suit. Privées de leurs fils, de leurs maris, frustrées de leur amour et en même temps libérées de leur domination, elles réinventent peu à peu un espace social et politique d’où l’homme est exclu.
Comme les Athéniennes dans la comédie d’Aristophane, les femmes de Mariquita se voient donc forcées de légiférer elles-mêmes. Politique, économie, mode, mœurs et sexualité : il n’est presque aucun domaine que cette nouvelle gynocratie villageoise, misérable et joyeuse, ne laisse intact. L’invention d’un nouveau temps, strictement féminin, est l’accomplissement d’une évolution symbolique par lequel le roman de James Cañon tend à se métamorphoser peu à peu en utopie féminine. En effet, l’identité des sexes finit par forger un système gouverné par la loi du Même. Aussi lorsque les hommes trouvent le chemin du retour découvrent-ils à Mariquita une tribu d’Amazones nues qui ont su remplacer leur absence par des amours plutôt saphiques et qui dévisagent avec curiosité ces nouveaux étrangers. Roman parabole où l’héritage de l’auteur de Cent ans de solitude est patent, le texte de James Cañon est, sous sa drôlerie grinçante, une invitation à méditer sur la différence et le conflit des sexes, ferments de culture.
Dans la ville des veuves intrépides de James Cañon
Traduit de l’américain par Robert Davreu
Belfond, 382 pages, 21 €
Domaine étranger La revanche des veuves
avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92
| par
Etienne Leterrier-Grimal
Un livre
La revanche des veuves
Par
Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°92
, avril 2008.