Pierre Senges, l'encyclopédiste fictionnel
On a demandé à Pierre Senges qu’il nous donne un texte bref sur les livres qui ont servi à nourrir son œuvre. Invitation…
Dire quels livres sont retirés le plus fréquemment des étagères pour être consultés demande de combiner des critères statistiques avec d’autres, plus débraillés, de fidélité ou d’empathie. Des dictionnaires, peut-être, à commencer par cette suite aux Mille et une nuit intitulée Dictionnaire Historique, sous la direction d’Alain Rey, dans lequel on apprend à lire de droite à gauche le mot abracadabra, ce qui suffirait pour justifier l’achat de tomes soyeux à l’intérieur crème.
Pour s’orienter, non seulement dans le corps du texte, mais dans d’abondants index et tables des matières : L’Anatomie de la Mélancolie de Burton et la Pseudodoxia Epidemica de Browne, rendus en français par Bernard Hoepffner, sixième des Frères Marx. Après quoi, En marge de Casanova, de Miklós Szentkuthy, contenant une cinquantaine de livres en un seul, dont l’Histoire de ma vie, et donnant un parfait exemple d’écriture de la glose, dévergondée, libre, donc divertissante.
Gadda, par exemple celui de L’Adalgisa, et Cingria, des Fourmis rouges, pour savoir comment s’exposent sur le papier en peu de lignes des miniatures de portraits ou de paysages - mais Gaddis et Gass sont aussi salutaires, en plus de prodiguer des énigmes ; et Krzyzanowski pour l’art de l’insert (Estampillé Moscou). S’il est question de se frotter pour la centième fois à la libre fantaisie, presque la désinvolture, afin d’en prendre de la graine, il y a Le Tour du jour en 80 mondes de Cortázar ou, mieux, Macédonio Fernandez et son Musée du Roman de l’Eternelle. Le lendemain, ce sera les textes de Bouveresse ou les embranchements de Jacques Roubaud pour combattre la mollesse par la mathématique.
En évoquant in extremis les Carnets de Henry James, les pages de Carlo Ginzburg (et Ducharme et Jacques Ferron pour savoir le français comme langue étrangère), on parviendrait à ne pas citer Borges.