Toute grande poésie relève d’un sens du lieu et de la formule, ce qui exclut les poètes qui se regardent au profit de ceux qui regardent et cherchent à capter la musique de fond de la vie. Car « vivre est émouvant, et la poésie n’est pas autre chose que le relevé sec, tranchant, impitoyable, de cette émotion sans équivalent immédiat », selon Georges Perros, qu’Henri Droguet cite en exergue de son dernier livre. Off, c’est la toujours même singulière expérience d’un homme - « l’animal effarant à casquette et quatre deux/ puis trois ou pas pattes l’homme qui/ a vu l’homme qui a vu… sa godaille/ ses forgeries menteries bababils bababels/ à rabâchis » - disposant d’un corps qu’il sait exposé, précaire, voué à la finitude, comme à l’éclat fusillant du désir. C’est pourquoi les mots d’Henri Droguet vont nus et vulnérables parmi les arêtes vives du réel, le vent qui « rous/ caille au cul désidéré/ du ciel », « l’intempestif vacarme des goélands fienteurs/ qui maculent un calvaire de fonte oxydée ».
Une traversée à neuf de ce qui ne s’offre que pour se dérober. Une façon de traiter le mal par le mal mais surtout par l’humour, un humour aggraveur de torts et désamorceur d’angoisse. Henri Droguet défaçonne, « désonge invente/ ses images nues ». Jubilation sarcastique, façon aussi d’immoler les mots à la pureté d’une cause abrupte : conjurer la libido noire du désespoir existentiel en la théâtralisant, en découpant des détails de façon fétichiste - « la pluie lavandière horripile la robe/ couleur de sang figé/ d’une jument qui toussaille/ dans les fougères fauves arborescentes ». Une force naît de là, une impulsion de sens, une forme de sublimation du dérisoire. Un livre dégagé de tout souci d’orthodoxie et irradiant une forme très sensible de présence sur fond de fringales d’absolu et de mer fraîche, « le dernier comptoir/ des impatiences et des infinitudes ».
Off d’Henri Droguet, Gallimard, 144 pages, 15 €
Poésie Viande et fourbi
février 2008 | Le Matricule des Anges n°90
| par
Richard Blin
Un livre
Viande et fourbi
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°90
, février 2008.