L'ouverture selon Nicole Caligaris
Pour répondre aux questions qu’on lui pose, Nicole Caligaris ne laisse pas la pensée au vestiaire. Mieux, elle se lève plusieurs fois pour ramener sur la table un livre qu’elle évoque. Sa parole, vive et comme en ébullition, ouvre d’innombrables parenthèses, seules réponses peut-être aux questions qu’elle pose. Pour prendre une métaphore parisienne, faire un entretien avec la romancière ressemble à une traversée de la place de l’Étoile en dehors des heures de pointe : pas d’embouteillage, mais des centaines de pistes de réflexion qui filent fissa dans la conversation. Même si elle se place plus volontiers du côté des artistes que de celui des philosophes, Nicole Caligaris ne fait l’économie d’aucune forme de pensée pour appréhender avec un appétit vorace le monde d’aujourd’hui. Et pour clore la métaphore automobile, ajoutons que la romancière carbure au café fort. Avanti !
Votre œuvre apparaît à la fois homogène, notamment dans ses motifs qu’on retrouve d’ailleurs au cœur de l’essai Les Chaussures, le drapeau, les putains et hétérogène notamment dans la variété de vos phrases d’un livre l’autre. Vous préférez l’homogénéité ou l’hétérogénéité ?
Je ne vois pas l’hétérogénéité dans les formes différentes. Pour moi, c’est un travail en cours qui prend des manifestations peut-être différentes mais qui sont raccordées. Je vois l’unité du travail, ça c’est sûr. Après, chaque livre est une recherche et une expérience. Ce n’est pas que je pose un travail d’écriture et depuis ce travail d’écriture j’avance dans l’œuvre. Ça ne se passe pas comme ça. Chaque bouquin est une exploration. C’est une sorte de dialogue avec le livre en train de se faire : vers quel type d’écriture il va m’entraîner, quelle est sa forme juste ? Il y a une forme qui se développe dans chaque livre et qui prend sa justesse.
Ne peut-on pas trouver une unité dans le hors cadre des livres : avec La Scie patriotique on est dans une guerre, peut-être civile ; conséquence de cette guerre, les gens veulent fuir et c’est Les Samothraces, et puis parmi ceux qui sont restés au pays quelques-uns se font torturer et c’est Okosténie ?
Ah, c’est séduisant, j’achèterais bien l’idée ! Mais pour moi, ça ne se présente pas du tout comme ça. Mon travail se situe moins dans les thèmes, même si je me rends compte a posteriori que les thèmes sont récurrents, qu’ils circulent d’un livre à l’autre. C’est comme s’il y avait cette sorte de cohérence apparente que serait l’unité thématique mais pour moi, la cohérence, elle est en dessous. C’est la recherche dans l’écriture de ce que dit la citation de Quignard que j’emploie dans Barnum des ombres : « Nous sommes les usagers de motifs narratifs ». C’est l’écriture qui va visiter certains lieux, au sens de lieux communs de la rhétorique, certains emplacements. C’est dans cette recherche-là que je vois la continuité de mon travail. Mais c’est le point de vue du laboratoire…
Mais, de l’ensemble de vos romans ne se...