Dans « Vesna », Gilles Granouillet confronte ses personnages au poids du souvenir, à l’incertitude du langage, et à la volonté de vivre.
Vesna : cela signifie « printemps », en ukrainien. De ce 26 avril 1986, la jeune Olia se souvient que c’était le jour de son mariage, il y a plus de vingt ans, quand son mari Rosta était encore auprès d’elle. Il avait dû s’absenter ce soir-là, en pleine noce. Car Rostia était pompier, et quand la brigade l’appelle, un pompier quitte tout sur-le-champ, même sa propre noce. Mais Rostia n’est jamais revenu : le 26 avril 1986, le réacteur N°4 de la centrale nucléaire Lénine, à Tchernobyl, a explosé durant la nuit de son mariage.
La pièce de Gilles Granouillet, si elle traite d’une réalité historique, n’est en rien documentaire. La parole n’y dessine aucun espace défini, aucun temps fixe, aucune dimension quelconque du réel. Vingt ans après la catastrophe, cette parole est tout entière l’expression du souvenir et du deuil, et l’énonciation se trouve de fait située dans un repère instable, où les personnages parlent, où ils chantent aussi parfois, toujours entre passé et présent et semblant ne communiquer que par le biais de leurs souvenirs.
Dans Vesna, la parole ne semble recouvrir qu’imparfaitement les cœurs qui brûlent encore, d’amour ou bien de deuil. Cette incertitude, au cœur de l’écriture, entre ce qui apparaît et ce qui demeure invisible, constitue toute la théâtralité de la langue de Gilles Granouillet. Le souvenir menace toujours d’exploser à nouveau, comme pour Olia, qui raconte dans un long monologue comment elle a conçu sa fille avec un Rostia irradié et mourant. Ou comme pour Pavel, l’amant évincé : « L’erreur humaine (…) a soulevé la chape qui retenait le cœur prisonnier ! (…) Le cœur n’est qu’un tas de lave, mais il reste chaud, pour des milliers d’années ». Pour les personnages de Vesna la possibilité de revivre semble à ce prix : céder à cette invitation du printemps à renaître, tout en sachant que sous la chape du sarcophage de béton qui l’enserre, le brasier mortel vit toujours.
Vesna (suivi de) La Maman du petit soldat de Gilles Granouillet, Actes Sud-Papiers, 78 pages, 13 €
Théâtre Un jour à Tchernobyl
janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89
| par
Etienne Leterrier-Grimal
Un livre
Un jour à Tchernobyl
Par
Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°89
, janvier 2008.