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Vu à la télévision Qu’aurait dit Archimède ?

janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89 | par François Salvaing

Au sens qui intéresse le PMU, la Française des Jeux ou la Société Partouche, Timothée n’est pas joueur. Entré dans un casino le jour de sa majorité légale, il en était ressorti dix minutes après pour toujours : il avait misé et perdu un gros billet. La même semaine, avec les mêmes résultats suivis des mêmes conclusions, Timothée acheta un billet de loterie, remplit un bulletin de tiercé, et gratta un ticket d’il oublia quoi. Tel demeure Timothée. N’empêche, adore voir jouer les autres.

Bien avant l’invention du tube cathodique, Borges écrivait : « J’appartiens à un pays vertigineux où la loterie est une part essentielle du réel. » Sur l’écran de Timothée, du matin au soir tournent des roues et se dressent des mâts de cocagne. Il porte peu d’intérêt aux jeux existant par ailleurs qu’on se borne à filmer : lotos, tiercés, parties de poker. Les véritables jeux télévisuels sont ceux façonnés par la télé pour la télé. Dans la plupart, il s’agit de fournir la réponse adéquate. 1515 ? Marignan. Et non la mort du roi Louis XII, ou l’invitation par François Ier de Léonard de Vinci, ou la création du Parlement de Normandie. 1515 ? Marignan. Toute autre réponse sera fautive. Et toute faute éloigne de l’argent, moteur, carrosserie et destination de la plupart de ces divertissements.

Le plus cynique est le plus bref. Au beau milieu d’un match de foot, le commentateur invite à téléphoner pour dire si le prénom de Zidane est 1) Romuald 2) Kevin ou 3) Zinedine. Des écrans (pardi !) extraplats (dernier cri !) sont à portée de SMS. Plus la réponse est évidente, plus il y aura d’appels, plus la chaîne empochera : télé-tirelire, l’appellent les initiés. Timothée, match après match, résiste à la tentation, malgré son écran inaltérablement bombé.

À suivre ces jeux, dans quantité de domaines, de l’archéologie à la zoologie, Timothée acquiert des copeaux de connaissances le contraire d’un savoir, bien entendu. Cependant ce ne sont pas ces modestes et volatiles acquisitions (qu’aurait dit Archimède en découvrant son principe ? 1) Youkoulélé ! 2) Touyouyoutou ! 3) Euréka ! ou 4) Tanganyka !) qui le mobilisent, mais les joueurs eux-mêmes. Ces quotidiens aspirants au pactole sont d’abord des survivants. Ils ont passé des sélections, plusieurs tamis. Puis ils ont été confiés à des coaches qui leur ont tiré de quoi faire une fiche pour le présentateur (Martial aime les arts martiaux, Annie les sucettes à l’anis), et les ont, c’était dans le contrat, maquillés, peignés, fringués de façon à mettre en valeur (flatteuse ou ridicule) telles ou telles particularités de leur physique et de leur personnalité. Le candidat postule à l’exhibition au moins autant qu’à l’enrichissement, et doit se plier (la candidate, surtout) aux sollicitations les plus graveleuses, vestimentaires pour l’émission, puis verbales pendant. De temps à autre, comme pour rappeler un chacun à l’ordre exhibitionniste, une immense jeune femme court vêtue traverse de long en large l’écran, précédée de la chirurgicale exubérance de sa poitrine. Timothée s’émerveille quand, malgré tout, au dégradant l’humain résiste. Les vernis trop frais craquent et, parfois, des êtres s’aperçoivent sous les pantins. Timothée guette ces moments qui, presque, font vaciller les animateurs à l’arrogante et mécanique suavité.

Cependant il préfère encore les rares jeux qui convient leurs participants à faire travailler davantage d’eux-mêmes que leurs glandes lacrymales, leurs muscles zygomatiques ou leur mémoire quizzique. L’un des plus anciens, au succès apparemment inusable, met deux concurrents à réfléchir devant un semis de chiffres ou de lettres. Spectacle de la pensée, havre de silence, loin des vociférations d’enthousiasme ou de déception déclenchées ailleurs par le chef de claque. À peine trois gouttes de musiquette sur le temps qui avance, bleu, dans un tube horizontal.

Reste que ce jeu-là aussi ramène à des normes. Alors que pour Timothée l’idée même de jeu appellerait au dépassement, à l’invention. Un soir, miracle. Terry Gilliam, puissante gargouille, s’installe face à un chevalet sur lequel Albert Dupontel, autre cinéaste déjanté, place à intervalles des photographies de toiles célèbres, Géricault, Delacroix, Courbet… Gilliam à la fois parle et crayonne, dévoyant avec une tendre férocité le chef-d’œuvre qu’on lui fourre dans les pattes. L’héroïne de La Liberté guidant le peuple devient un guide de tour-operator, rameutant vers l’autocar une horde de touristes sauvages qui ne laissent sur leur passage que gravats, cendres et cadavres. Le Radeau de la Méduse lui évoque sans doute son Quichotte naufragé, Lost in la Mancha, et Gilliam décrète que la toile représente une équipe de tournage rendant à la mer les détestables plateaux-repas fournis par la cantine de la production. Puis il décide de censurer de blanc le sexe à L’Origine du monde. Dupontel ne s’attendait pas à celle-là, proteste presque. Gilliam n’en démord pas, blanchit et blanchit le con de Courbet, se réclamant du mythe d’Orphée qui ne doit pas se retourner sur le portail d’où il vient. « Voilà le monde plus sûr ! » glousse, sarcastique, la gargouille. Et voilà notre Timothée radieux comme un qui aurait dégoté dans la botte de foin de son bouquet numérique une aiguille, enfin, et de métal précieux.

Qu’aurait dit Archimède ? Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°89 , janvier 2008.