Choix de poésies amoureuses des Touaregs
C’est elle à la langue douce comme des/ bandes de graisse de chameau,/ elle à la langue de lait non mêlé d’eau/ qui m’a incendié les touffes d’herbes/ au fond de mon cœur : elle est/ comme la fièvre des premières dattes… « Voilà par exemple de quoi est capable le tamashèq, langue des Touaregs, dont le préfacier nous apprend la parenté avec le berbère, l’araméen et le haoussa. Tout est découverte et ravissement dans ce petit volume de chants recopiés par Louis-François Delisse à Niamey dans les années 1950 à partir d’une transcription par le Père de Foucauld datant du début du siècle. Des hommes et des femmes y disent leur sentiment dans une rhétorique amoureuse aussi loin de chez nous qu’on en sort comme éberlué, sonné de tant de captures poétiques d’un monde. On s’assoit sur la petite dune sous un dromadaire accroupi ; on s’arrange le teint avec du lait de chèvre ; on décline les teintes des robes du chameau, blanc, crème, gris souris ; on fait la route avec le faon de la gazelle. La souffrance a elle aussi d’autres noms : » Il n’y a que mes/ os, ils sont dressés debout, et la respiration va/ lentement et silencieusement sous eux. " À cause peut-être du voile indigo montant jusqu’aux yeux, une grande attention est accordée aux détails du visage : la narine, le sourcil, la dent de la femme sont les lieux de la beauté, et la blancheur (de la rosée, du fromage) la couleur la plus valorisée. Puis, pourquoi évoquent-ils sans cesse le cou, symbole de verticalité, d’identité, ou bien, comme la gorge, de féminité ? À la faveur d’opacités savoureuses, de rythmes âpres, de tournures taillées sans être polies, émerge la figure d’un peuple qui séduit comme il intimide.
Choix de poésies amoureuses des Touaregs
de Louis-François Delisse
Le Corridor bleu, 91 pages, 13 €