Le Cœur des enfants léopards, tragédie qui commence à son apogée, vous saisit dès les premières pages. Le narrateur, arrêté par des policiers, est passé à tabac dans un commissariat et son calvaire semble sans fin. Des pages, à la fois très dures, et pourtant très belles sur la douleur, la solitude et le désespoir s’enchaînent en un long cri. Libérés, les mots se déversent et toute la vie, toutes les préoccupations du prévenu, français d’origine africaine, défilent. Mais que lui reproche-t-on au juste ? D’antiques questions resurgissent : « Tu viens d’où ? Tu connais ta culture ? Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? T’as de l’argent ? » Est-il trop noir ? Trop occidentalisé ? Son existence même poserait-elle un quelconque problème à ses tortionnaires ? « Tu parles pas ta langue ? Noir dehors, Blanc dedans ». Héritier de deux cultures qui s’ignorent, l’accusé les renvoie dos à dos. Le langage et ses vertus magiques, ou encore les esprits des ancêtres ne lui sont pas d’un grand secours. Le rationalisme des anciens colons est stérile. Qui est-il au milieu de ce chaos culturel ? « N’oublie jamais que tu n’es pas chez toi, le fardeau de l’étranger. Sois toujours meilleur que le Blanc, sinon il te méprisera », lui conseille l’ancien. Seule consolation et seul regret véritable, l’amour sans condition d’une amie d’enfance, blanche et juive, ouverte à son âme et qui ne l’a quitté que pour échapper à la violence d’un quartier chaud. Une violence à laquelle il a lui-même succombé un soir trop alcoolisé. Dans la sueur, le sang, la pisse qui jonchent sa cellule-cage, il pense à son paradis perdu. Pas de coupables dans ce premier roman de Wilfried N’Sondé (né en 1968 au Congo), mais au-delà d’un crime horrible en dernier rebondissement, un ballet de victimes.
Le Cœur des enfants léopards de Wilfried N’Sondé
Actes Sud, 133 pages, 15 €
Domaine français Sans racines
mai 2007 | Le Matricule des Anges n°83
| par
Franck Mannoni
Un livre
Sans racines
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°83
, mai 2007.