William Cliff, les errances d'un innocent
Pour ce que l’on connaît de la fédération helvétique, c’est à la Suisse qu’on pense lorsqu’on marche depuis la gare de Gembloux (au sud-est de Bruxelles) vers la maison que William Cliff habite depuis deux ans. Pelouses tondues à ras, haies taillées au cordeau, berlines rutilantes rangées bien parallèles aux trottoirs : la Belgique ici affiche un confort domestique de cartes postales. Les maisons s’embellissent de vérandas lumineuses, toutes semblent avoir été l’œuvre d’architectes de bon goût. On ne croise guère de monde au mitan de cet après-midi écrasant de chaleur qui fait penser à ces vers : « aujourd’hui la chaleur est accablante/ et la ville est à l’état de fournaise/ je n’ai plus fort de force pour étendre/ des vers trop clairs peut-être des fadaises » (Fête nationale). Une petite chapelle sert de repère ici, on tourne à droite, la route se prolonge plus loin en un chemin qui court rectiligne et propre à travers champs. La demeure de notre hôte est l’avant-dernière de la rue. Bâtie de plain-pied, plus modeste que celles qu’on aura longées, elle se prolonge d’un grand jardin d’herbe. Dans le garage, une deux-chevaux perd lentement son huile : elle a cessé d’attendre l’examen d’un contrôle technique : « la deux-chevaux c’était pas confortable/ ça craquait et crissait sous notre poids/ soudain le jour parut dans les crevasses/ des nuages et fourbus on s’en alla/ pour recoucher sur leur couche ordinaire/ la solitude atroce de nos chairs » (L’État belge). Poète de la solitude, William Cliff est donc venu s’installer : « à la villa Astrid exposée aux grands vents/ là-bas sur le plateau hesbignon plein de boue/ près de ce cèdre énorme pliant sous les souffles/ avec derrière ce jardin nu et cruel… » (Immense existence). La maison appartient à l’un de ses frères, et comme il est dit dans le poème : « c’est là que j’ai trouvé refuge c’est là que/ je devrai persister que je devrai dormir/ dans un lit d’une seule personne aspirer/ l’air d’une chambre où je n’espérais jamais être ».
L’homme qui nous reçoit aime marcher même si sa démarche, dans son étrange balancement, hésite entre celle d’un Charlie Chaplin et celle d’un homme léger et ivre. Il propose d’aller voir comment va un cheval de trait immense et doux dont il a parlé dans un texte à paraître dans la revue Europe consacrée à Franck Venaille. On longera, après un premier champ, une ancienne voie ferrée. La maison du garde-barrière s’est agrandie de deux ou trois « kots » comme on appelle ici les chambres pour étudiants. La balade nous conduit devant une sorte de table d’orientation historique : une carte figure sur le marbre la bataille de Gembloux de mai 1940 où périrent ensemble Français et Marocains. De là, le haut bâtiment qu’on voit surplomber la ville dans sa cuvette, c’est la clinique fondée par le père de notre hôte. En venant, on est passé devant la propriété où le poète vécut une partie de son enfance : grande bâtisse bourgeoise au cœur d’un parc, sur quoi un promoteur...