Après un volume dirigé avec Jean-Patrice Courtois sur la poésie italienne pour le Nouveau Recueil (N°81), et surtout les deux exceptionnels panoramas poétiques italiens de 1975-2004 (Po&sie N°109-110) publiés il y a deux ans, Martin Rueff poursuit son travail d’explorateur, de découvreur, et de philologue, en proposant dans cette nouvelle livraison de Po&sie deux dossiers d’une belle rigueur : l’un est consacré au philosophe Giorgio Agamben, l’autre au dernier des grands poètes modernes latins, Andrea Zanzottto. C’est sous le titre de Questions à Giorgio Agamben, que le dossier propose d’abord un court inédit (L’Hymne brisé) dans lequel Agamben explore, à partir d’un manuscrit de l’anthropologue Marcel Mauss, le lien entre le don sacrificiel de nourriture et sa traduction en voix, ici la structure de l’hymne. Ce nœud, Agamben le déroule très densément en analysant comment, dans la tradition occidentale, la fin ultime de la parole est celle de la célébration. De l’hymnos grec, originairement acclamation rituelle proférée lors des mariages (hymen), à sa décadence au Moyen Age, jusqu’à Hölderlin, Mallarmé, et Rilke, il y a passage entre l’hymne (qui célèbre) à l’élégie, plainte de la disparition des dieux, ou impossibilité de les célébrer. À cette tension, neuf auteurs répondent : par le poème, pour Pierre Alferi ou Philippe Beck (« Alors, Poésie prend fin constamment/ (d’où aussi le poème court),/ et constamment elle est puissante/inconscience relative pareille/ à chacun »), ou l’approche philosophique, tel le texte de haut vol pour Gisèle Berkman, qui tente de penser le lien entre la figure de Bartleby et celle du « musulman » des camps de la mort dans l’œuvre d’Agamben. Le politique et le poétique sont interrogés, de toutes parts, jusque dans les notes réflexives de Michel Deguy, ou dans le rapport entre fin du poème et fin du roman chez Hédi Kaddour ; quand Jacques Roubaud revient, lui, sur le trobar (art qui unie les mots et les sons) des troubadours.
La seconde partie du numéro fête les quatre-vingt-cinq ans d’Andrea Zanzotto, cent pages, dont plus de trente de traduction, conférence sur la traduction, poèmes Lacustres, et notes sur les vrais horizons à penser entre enfance, poésie et pédagogie. Zanzotto y montre la sensibilité de l’enfant aux rythmes et aux sons, évoque Stevenson et ses Child’s Garden of Verses (1885). Les éclairages critiques italiens qui suivent, tels que les rapports poésie/histoire, l’étude du terme « silence », celle de la présence de l’antimatière face à la disparition des bois de Montello (haut lieu sacré pour Zanzotto) représentent des approches neuves. Et confirment qu’ « Ici autre chose survient dont il reste trace/ demeure comme une senteur d’impossible, en fuite/ et multiplication, fleuraisons gélificoles/ vallées envahies par la fête fière/ qui devient force ensuite et qui dure ».
Po&sie N°117-118, Belin, 272 pages, 30 €
Poésie L’Italie de A à Z
mars 2007 | Le Matricule des Anges n°81
| par
Emmanuel Laugier
L’Italie de A à Z
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°81
, mars 2007.