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Domaine français Maître d’hôtel

janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79 | par Anthony Dufraisse

Plus que jamais inspiré, Jacques Jouet signe une saga familiale fantasque, où le cours du roman est susceptible à tout moment de faire un écart.

L' Amour comme on l’apprend à l’École hôtelière

Si Neuilly est si peu accueillante, constatait un jour Aragon, c’est qu’on y trouve qu’hôtels particuliers et portes closes. À Etampes, l’Hôtel du large que tiennent Georges Romillat et sa femme Mariette est, lui, ouvert à tous ; il y fait bon poser ses valoches. En hôteliers particulièrement attentifs, ils mettent du cœur à l’ouvrage, lui surtout, qui se doit d’être exemplaire, et pour cause. Dans le milieu on le connaît sous le pompeux titre de « professeur d’amour », matière qu’il a enseignée des années durant dans une École hôtelière de prestige. Ce Romillat, si l’on veut, fut à l’art de l’hôtellerie ce que Clausewitz fut à celui de la guerre : un grand théoricien. Dans le premier tiers du roman, Jouet nous brosse le portrait de Romillat sous ces augures théoriques. C’est rien moins que « la révolution dans l’hôtellerie » qu’il veut faire, plaçant son idéal sous le signe d’Éros. Obséquieux et dilettantes s’abstenir, on entre en hôtellerie comme en religion ; c’est une vocation ou ça n’est rien. Jouet, à travers son protagoniste, se fend çà et là de réquisitoires corrosifs à l’endroit de la gente hôtelière qui sont à pleurer. Romillat domine son sujet comme personne, une maîtrise où il faut d’abord saluer le sens de l’observation poussé de l’écrivain (à quand, sous sa plume, un Dictionnaire amoureux de la vie hôtelière ?). Tout lui est prétexte et support à théoriser la condition hôtelière. À voir les règles de savoir-vivre n’en plus finir, à survoler les impératifs du métier, on en a le vertige. Son pointillisme en serait presque terrorisant s’il ne se justifiait d’une formule : « L’amour est dans les détails ». Bref, l’hospitalité sincère est l’horizon indépassable du sacerdoce hôtelier. C’en est, diraient les savants, l’alpha et l’oméga, sinon bonjour les dégâts. D’une certaine manière, quand à son tour il se met à son compte (à Etampes donc), il sera un peu victime de son propre enseignement, de son intransigeance zélée. Si les servitudes du principe de réalité ne lui imposent pas un démenti flagrant, elles le mettent sérieusement à l’épreuve. Il plie mais ne cède pas ; sa conscience professionnelle le fera triompher des couacs qui mettent face à face discours et expérience, et dont la première partie fait, entre autres, le récit.
Si Georges tenait là le rôle-titre, la seconde partie le voit en retrait, cédant les honneurs du projecteur à Sylvain, sa progéniture. Le fiston, très vite on s’en aperçoit, est un « sujet déviant ». Manière toute pudique de dire que c’est un électron libre, sexuellement débridé et débordant de vitalité, très porté donc sur la bagatelle. Homosexuel libidineux, il est truculent à tous points de vue un numéro à lui tout seul. Jouet s’attarde sur le rejeton pour nous montrer à travers son exemple les mutations que subit en toile de fond la société des années 60 à aujourd’hui, et aussi les désillusions d’un père qui ne pourra compter sur sa descendance pour assurer sa postérité hôtelière. Mais ce portrait haut en couleur de Sylvain a un sens plus profond que nous révèle l’épilogue. Page 429, au moment de plier roman, Jouet prend la parole : « (J)’ai commencé ce roman familial guidé par une envie qui était aussi un libre devoir : composer un roman au centre duquel se trouverait la plus extraordinaire personne que j’aie jamais rencontrée, j’ai nommé mon frère aîné Michel ( 1990) ». Ainsi donc l’évocation de cette figure est avant tout fraternelle ; l’in memoriam aura pris la forme d’un roman-fleuve, d’une fiction-feuilleton. Pas plus qu’il n’accepte la transposition strictement autobiographique, Jouet ne voulait inscrire sa commémoration dans l’autofiction. Plutôt que de romancer la vie familiale, il a potentialisé ses origines ; il s’est moins souvenu qu’il n’a imaginé. D’où, en ouverture, cet avertissement : « Ces personnages ne sauraient être que le fruit de la potentialité ». Potentialité, le mot est lâché. C’est avouer là ce que Jouet, encore une fois, doit à l’esprit de l’Oulipo dont il est, comme on sait, un membre actif. Il faut aussi comprendre à la lumière de ce programme l’accumulation des notes qui jalonnent en bas de page le roman. Ceux qui n’y voudraient voir que pirouettes et artifices se tromperaient : plus que des trouvailles assurément cocasses, il y faut voir l’idée que Jouet se fait du roman. Comme Perec, qui « adorait les notes de bas de pages même s’il n’avait rien de particulier à dire » (c’est dans Penser/classer), Jouet ajoute lui aussi ces sortes d’excroissances. Le cours du roman est susceptible à tout moment de faire un écart ; des trappes s’ouvrent où tombe le lecteur (cas extrême, des pages 160 à 168, où les notes renversent même le cours du roman, si longues qu’elles marginalisent l’histoire principale). Ces écarts nous plongent dans l’autrement du roman, dans le roman tel qu’il aurait pu, aussi, après tout, s’écrire. Dans ces dimensions parallèles infrapaginales demeurent autant de romans potentiels. Car écrire c’est choisir : choisir ces mots, sa ligne de mots (comme qui dirait ligne de conduite ou d’horizon). Jouet le sait et n’oublie pas, à preuve ces notes, la contingence de ce choix.

Anthony Dufraisse

L’amour comme on l’apprend à l’école hôtelière
Jacques Jouet
P.O.L, 442 pages, 22,90

Maître d’hôtel Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°79 , janvier 2007.
LMDA PDF n°79
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