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Intemporels La folle équipée de Foote

novembre 2006 | Le Matricule des Anges n°78 | par Didier Garcia

Un homme rangé commet un adultère puis un meurtre. Accès de folie ? Faux pas ? Un roman à plusieurs voix en forme d’enquête.

Au départ : un tourbillon pas trop violent, une histoire simple. Pas tout à fait raisonnable, pas vraiment banale, mais simple. Luther Eustis, pauvre agriculteur du Mississippi, marié et père de famille (signe particulier : ne sort jamais sans sa Bible), s’entiche d’une jeune fille aux allures délurées et l’emmène vivre une idylle de quelques semaines sur une île (presque) déserte. Une île lacustre pour tout dire. Un jour, il se souvient brusquement qu’il a une femme, des enfants, et aspire soudain à retrouver le foyer conjugal (la parenthèse est consommée). La jeune fille (qui répond au sobriquet plutôt étrange de Beulah) ne l’entend pas de cette oreille : elle, elle ne veut plus d’une vie sans lui (ça sent alors franchement le mélo). Elle menace même de faire irruption dans sa famille, si d’aventure il s’en retourne auprès des siens. Ne voyant aucune issue possible, Eustis décide de la supprimer : il l’étrangle avec une branche de saule, la noie, et jette son corps lesté de blocs de ciment dans les eaux du lac Bristol. Un crime parfait ? Pas exactement. Un jour, le corps remonte à la surface (on ne sait trop par quel miracle, mais le fait est là : il remonte, il flotte, puis il est découvert par une femme-homme horriblement moustachue, mère d’un jeune garçon sourd-muet). Auparavant, ce dernier était parvenu à lire le nom du meurtrier sur la page de garde de sa Bible. Un soir, n’en pouvant plus de garder pour lui cette vérité, il dénonce le coupable qui, à peine arrêté, passe aussitôt aux aveux.
Une intrigue simple comme on le voit, qui n’aurait pas grand intérêt si elle n’était servie par une stratégie narrative qui donne sa saveur au roman. Plutôt qu’un récit linéaire réalisé par un seul narrateur, Shelby Foote (1916-2005) a choisi une structure plus complexe, laissant la parole à une équipe de narrateurs (huit au total, qui assument d’ailleurs pour certains plusieurs fois la narration : ainsi trouve-t-on trois chapitres 4, tous trois pris en charge par le meurtrier lui-même). Chacun y va donc de sa petite contribution, présentant ce qu’il sait et ce qu’il a vu (le tout passé au prisme de sa propre subjectivité), prolongeant, complétant, enrichissant les narrations des autres. À bien des égards, certaines tiennent davantage de la confession que du récit (celle de Beulah, qui nous parvient de l’au-delà, vaut son pesant d’or). L’épouse du meurtrier révèle ainsi au lecteur que le père d’Eustis avait lui aussi commis un meurtre, en l’occurrence celle de sa femme et d’un enfant adultérin (son arme avait été les flammes). C’est par la bouche de sa mère que le lecteur découvre le destin tragique de Beulah : prostituée dans son enfance par sa propre mère, elle a tout simplement cru que Luther Eustis était l’homme que la vie lui réservait. Et même lorsqu’elle avait la tête sous l’eau et que la branche de saule menaçait de l’étrangler, elle a continué de lui céder sa confiance, étant persuadée qu’il allait arrêter, la remonter hors de l’eau…
La communauté des conteurs s’en sort bien. Parfaitement maîtrisé, le procédé se révèle habile : l’histoire se construit à la manière d’un puzzle, les différentes pièces venant s’imbriquer les unes dans les autres pour former un tout d’une grande cohérence. Le tour de force de Foote (qui en a réalisé d’autres, comme sa monumentale Histoire de la guerre de Sécession en trois volumes, qui lui coûta vingt années de sa vie) est d’avoir su varier les tons et les styles à chaque parole narrative, et d’avoir su remettre à chaque fois son ouvrage sur le métier sans lasser son lecteur, car à chaque nouvelle prise de parole l’histoire recommence (jamais exactement au même point, certes, mais elle repasse tôt ou tard par les mêmes moments) ; il y a juste changement de regard, changement d’angle et d’éclairage.
Si le roman entier peut-être tenu pour une enquête, ce n’est pas comme dans la plupart des romans policiers : ici, tout est donné d’emblée, dès le premier chapitre, qui démarre le jour de l’ouverture du procès. Et si enquête il y a, elle porte avant tout sur le mobile. Qu’est-ce qui peut pousser un homme, englué dans une vie des plus paisibles, et qui plus est fervent pratiquant, à tout abandonner pour s’exiler sur une île déserte en compagnie d’une fille facile, jouer les Robinsons pendant plusieurs semaines, et au final la tuer avec un tel sang-froid ? Comment se peut-il qu’un homme comme lui n’éprouve jamais le moindre regret, alors qu’il passe pour un chrétien exemplaire ? Pétage de plomb ? ou simple folie, comme tente de le faire croire son avocat ? Quand le roman s’achève (sur l’espoir d’une vie plus intime pour Eustis dans le pénitencier qui l’attend), on ne sait plus très bien de quoi le meurtrier est coupable. Et s’il est le seul coupable. Le jury d’ailleurs ne s’y trompe pas (influencé quand même par la plaidoirie efficace d’un avocat qui profite de cette affaire pour régler ses comptes avec sa propre vie) : il ne condamnera pas Eustis à la chaise électrique. Il est bien sûr coupable, mais sa folie est peut-être celle de tout être humain.

Tourbillon
Shelby Foote
Traduit de l’américain par Maurice-Edgar Coindreau et Hervé Belkiri-Deluen
Gallimard,
« L’Imaginaire »
334 pages, 6,50

La folle équipée de Foote Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°78 , novembre 2006.
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