Il y a quelque incongruité à saluer encore Maurice Blanchard. D’abord parce qu’on aurait dû depuis bien longtemps lui accorder une place ferme, définitive et éminente. Ensuite, et surtout, parce que notre époque n’est sans doute pas faite pour le recevoir et pour l’entendre. Tandis qu’on se dandine par les rues avec des attitudes « rebelles » mais si, mais si, et le mot lui-même tatoué au cul, paillettes sur jeans puisque les pipoles et tutti compoti composent officiellement la ligue officielle des rétifs au système, puisque l’ultime grâce est de paraître réticent aux valeurs communes (tout en surveillant son compteur bancaire du coin de l’œil), puisque Christine Angot est, parce qu’elle le dit, un grand écrivain, puisque Marc Lévy et Virginie Despentes font frémir les lecteurs et puisqu’on se fiche de déceler la vraie résistance de l’authentique coup publicitaire, on ne voit pas bien pourquoi on se fendrait encore d’un article sur Maurice Blanchard. Gueuler dans la bourrasque ou pisser dans un violon les anciens disaient Margarita ante porcos sont des occupations navrantes. Navrantes et indignes à la fin. On ne l’écrira d’ailleurs pas cet article. Parce que c’est marre.
De leur néant, les mânes de Maurice Blanchard nous comprendront. Il avait, lui, au moment où il écrivait La Hauteur des murs, la colère nette et la rage au cœur. C’était pendant la guerre. L’énorme, le passionnant journal qu’il a laissé des années 1942-1946 est à cet égard éloquent (Danser sur la corde, L’Ether vague, 1994). On peut parier qu’il serait aujourd’hui plus colérique encore. Voilà bien pourquoi il nous paraît délicat de lui infliger le traitement courant : louer encore Maurice Blanchard selon les vieux rites… Non, cet homme majuscule mérite mieux. Renvoyons donc sur la treizième livraison du Matricule des anges (1995), sur son autre recueil disponible (Les Barricades mystérieuses, Poésie-Gallimard) et cette admirable correspondance avec Noël Arnaud (La Rencontre avec Maurice Blanchard, Patrick Fréchet, 2005) où tout est dit. Mais faisons mine de remplir notre office, ajoutons une citation : « Mon agressivité et ma révolte me sauvent ». Et puis un commentaire, allez puisqu’on l’attend : Maurice Blanchard est un immense poète, qui, au lieu de se pavaner, resta sur un quant-à-soi louable, nerveux, redoutable au fond. Son œuvre a des accents rimbaldiens (« Ohé ! l’amour ! Montre-moi ton derrière de volaille ! »), dit-on lorsqu’on ne se veut pas se casser la nénette. Mais il suffit de lire Les Pelouses fendues d’Aphrodite pour sentir, pour savoir : « Et c’est nous les crocodiles en fête, et c’est nous qui grimpons là-haut, et c’est nous qui, v’lan ! fichons l’étai dans la gueule des nuages, dans la gueule grande ouverte des larmes. Et nos bras sont des lianes, et nos bras sont les amants des grands édredons noirs, et c’est nous qui valsons au bout de nos âmes, sur les gouffres, en faisant de grands pas au bout de nos âmes, au bout de nos cordages, au bout de nos miracles. »
Aucune illusion : nous ne déclencherons pas de ruée sur cette œuvre qui a pourtant secoué tous ses lecteurs. Mais ajoutons encore à quoi bon ? que Maurice Blanchard fut d’un surréalisme autonome, « le plus pur poète de ce temps », pour les jeunes gaillards du groupe de La Main à plume, et celui dont l’œuvre sera, écrivait Noël Arnaud, « une des bases solides de notre action, une de nos références, que nous mettrons en avant comme un poing sur la gueule des incapables ». N’est-ce pas suffisamment clair ? Faut-il encore tartiner quelques paragraphes sur les thématiques abordées par le maître ? S’enthousiasmer en enfilant les louanges ? Participer encore à la vaste marée de mots vains, de citations resucées ? Pourquoi en est-on encore au point où il faut faire l’article à Maurice Blanchard ? Pourquoi Eluard, pourquoi Char et pourquoi pas Blanchard ? Qu’est-ce qui ne marche pas chez nous ?
La Hauteur
des murs
Maurice
Blanchard
Le Dilettante
Préface
de Laurent Guillier
128 pages, 15 €
Histoire littéraire Le mur de la honte
novembre 2006 | Le Matricule des Anges n°78
| par
Éric Dussert
L’œuvre de Maurice Blanchard (1890-1960) n’étant toujours pas entrée dans les crânes, le bourrage serait-il nécessaire ?.
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Le mur de la honte
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°78
, novembre 2006.