La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français À l’ombre de Sade

octobre 2006 | Le Matricule des Anges n°77 | par Thierry Guichard

En incarnant le frère aîné de Jean-Jacques Rousseau, Stéphane Audeguy dresse le portrait d’un siècle que le rationalisme a tué. Illusions perdues.

Pour son deuxième roman, après le très réussi La Théorie des nuages, Stéphane Audeguy a offert un corset à sa capacité d’invention. Qui est grande. Un corset historique et linguistique puisqu’en prêtant sa voix au frère de Jean-Jacques Rousseau, il s’imposait d’écrire comme on le faisait au XVIIIe siècle et de tenir la fiction sous le joug de la vraisemblance historique.
Rousseau, dans Les Confessions, n’évoque que peu son frère aîné, qu’il connut à peine. Stéphane Audeguy s’est emparé de ce mystère pour imaginer la vie de François. Ayant, ici, survécu à Jean-Jacques et à la Révolution, l’homme écrit sa vie dans une adresse, par-delà la mort, à son frère. Fils unique, dans sa linéarité et dans la souplesse de sa narration, se lit avec un bonheur simple. On retrouve même, sur plusieurs épisodes, cette faculté d’enchantement qui nous avait saisis lors de la lecture de La Théorie des nuages. Libertin autant qu’il le peut, François connaît les aventures de la chair, celles du progrès, celles de l’Histoire. On le suit volontiers dans l’apprentissage permanent qu’est la vie. D’autant que, dans cet exercice de style qui consiste à écrire un français d’époque, Audeguy semble retrouver naturellement le ton du moraliste, le sourire en coin. Ses formules sonnent juste, en bois d’époque et parfois en subjonctif assorti : « Il est bon sans doute de suivre sa pente ; mais il faut que ce soit en montant. » (P.24) ; « Ce prêtre me quitta content de moi, c’est-à-dire de lui » (P.27) ; « Maximin de Saint-Fonds était entré dans cette confrérie secrète de ceux qui aiment trop les hommes pour ne point haïr l’Humanité » (P.49). Les instruments sont donc bien accordés. Mais on attend plus. On aura plus.
Il y a quelque chose de très malin dans ce livre : Audeguy met en place une petite musique de chambre mais l’air joué n’est pas une berceuse. Il y a d’abord le thème érotique du livre. La sexualité, que l’enfant découvre par la grâce de la main de sa mère, semble constituer d’abord le thème principal du roman. L’apprentissage de la liberté sexuelle inaugure cependant celui de toutes les libertés. François apprend beaucoup d’un aristocrate homosexuel qui lui fait découvrir les livres autant que la faculté d’être libre. Cette liberté a quelques ennemis : la religion en premier lieu qui ne propose que des « mensonges infâmes ». En matière de credo, François se forge le sien très jeune, entre les cuisses d’une jeune paysanne : « Le clitoris m’apparut comme la preuve irréfutable de l’inexistence de Dieu. »
François, après de multiples événements, sera embastillé. C’est en prison qu’il fait donc la connaissance de Sade, sorte de borne frontière à sa propre pensée. Le roman, à ce point de la narration, semble jouer les Icare. Sade, dans sa vision de l’humanité, symbolise une radicalité vers laquelle, finalement, François ne va pas. Vers laquelle Audeguy ne va pas non plus. Mais qu’il signale cependant. Après sa rencontre avec Sade et après qu’un certain 14 juillet, la Bastille fut prise par le peuple de Paris, le roman va considérablement s’obscurcir. Ce n’est plus la religion, ou ce n’est pas elle seulement, qui est mise en accusation : c’est la Révolution dès lors qu’elle a échappé au peuple qui la fit. Audeguy dresse un portrait de la Terreur qui trouve dans le matérialisme le plus cru ses pages les plus noires. On y visite des prostituées malades d’être considérées comme rebus : « Souvent ces femmes se réveillaient un beau matin les mâchoires soudées, leurs gencives pourrissant l’une sur l’autre ; et l’on devait demander au barbier de les libérer d’un coup de rasoir. » Ironie de l’Histoire : les citoyens en qui il a « toutes les peines du monde à y reconnaître des hommes » ont fait de Jean-Jacques Rousseau leur héros. Sans l’avoir jamais lu. C’est donc vers le requiem des illusions que conduisait la petite musique de chambre. Et Audeguy réussit à faire entendre combien cette musique pourrait être aussi celle de notre époque. Non sans talent.

Fils unique
Stéphane Audeguy
Gallimard
262 pages, 17,50

À l’ombre de Sade Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°77 , octobre 2006.
LMDA papier n°77
6,50 
LMDA PDF n°77
4,00