Sous la forme d’un émouvant hommage à une génération sacrifiée, Ahmed Djouder célèbre le courage de celles et ceux, déracinés, qui ont tout quitté pour participer à la reconstruction de la France. Pourtant l’idylle coupe court. Désintégrée, en fait, comme le suggère ce titre dont la polysémie évoque le travail de sapement des préjugés qui est au cœur de l’œuvre. Mais Désintégration est aussi un constat amer sur la crise des banlieues, une lettre ouverte au pays qui revient sur la genèse d’un malaise. Du monologue de Djouder, on retiendra la déréliction et la colère de la jeunesse issue de l’immigration ; son cri poignant. On se souviendra aussi du portrait touchant et drôle des mères de quartier, dévouées corps et âme à leur famille sans jamais renoncer à leur coquetterie malgré la misère. Au-delà des discours de classe et des clivages raciaux, il atteste de la sensibilité poétique de Djouder qui rappelle au lecteur combien il est beau de regarder ses parents avec les yeux d’un enfant. On oubliera pourtant le ton moralisant, ainsi qu’une certaine tendance à s’afficher comme le portefaix d’une communauté algérienne dont il loue pourtant la pudeur. Dommage aussi que les paradoxes qu’il dénonce avec habileté chez les autres aient pénétré une écriture au départ si limpide. Refusant les amalgames, Djouder aurait normalement dû éviter de mélanger télé-réalité et politique. Il nous donne cependant à voir une France prise en étau entre « une ex-star du petit écran en fichu sur la tête dans une ferme » et « des partis politiques incapables de s’écouter ». On préférait la célébration des premières pages au pamphlet manichéen et fielleux sur lequel se clôt le discours.
Désintégration de Ahmed Djouder
Stock, 157 pages, 15 €
Domaine français L’espace du manque
juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74
| par
Benoît Legemble
Un livre
L’espace du manque
Par
Benoît Legemble
Le Matricule des Anges n°74
, juin 2006.