Pour commencer, on pourrait croire que ce qu’elle veut c’est savoir, savoir pour s’avoir, et pour mieux se donner. Mais « ce vaurien de savoir », cheville ouvrière qui travaille au corps son « envie d’être avec les garçons », n’est en définitive qu’une question supplémentaire à la liste de celles qui s’échelonnent tout au long de ce recueil de six récits, jubilatoires, enlevés, osés, drolatiques et décalés. Questions initiées par celle, première, essentielle, de La Taille des hommes. Car « la taille des bites des hommes, c’est la taille des hommes, la taille des hommes, c’est la taille de leur amour pour les femmes, la taille de l’amour des hommes pour les femmes ça donne leur taille aux femmes. » À partir de cette question dont la résolution ne laisse pas de doute, mais encore faut-il être allée jusqu’au bout de la question, avoir fouillé « les pensées secrètes des femmes » pour pouvoir ainsi en exposer les arcanes s’enchaîne donc une volée de questions qui grésillent dans la pensée, la font tournoyer jusqu’au vertige et œuvrent pour un envol inattendu, ouvrant la voie à la définition de soi, de sa liberté, et à la quête du chant au-delà des solitudes, de la défragmentation de l’être. Chant du désir pour le « chéri », pour ces hommes « mustang », cavaliers seuls, vêtus de blousons masques et peaux qu’ils n’enlèvent pas. Face à eux, au besoin d’eux et au désir de les aimer, de les embrasser, face à l’appel des peaux et l’esquive des cerveaux, elle oppose l’humour, la belle insolence du rire de tout surtout de ce qui ne se dit pas : « comment fait-il pour avoir de l’affection et de l’excitation pour quelqu’un qu’il ne veut pas entendre, comment ça marche entre le cœur et les oreilles de chéri, et la bite, et la bite et les oreilles de chéri, (…) à présent il lui semble carrément que tout le mystère de l’amour tient là (…) Laisse moi pense homme chéri, Je te laisse pense femme grenouille puis elle plonge dans le noir de ses propres pensées qu’elle aurait voulu ne plus garder secrètes, elle aurait voulu les mélanger avec celles de chéri elle aurait voulu que leurs pensées se baisent tendrement et pourquoi pas qu’elles fassent des petits, mais chéri est sur son quant à soi chéri a un balai dans la cul chéri est coincé quelque part où grenouille qui n’est pas nouille n’a pas envie d’aller le chercher ».
Écrire « Tout ce que je veux » est possible quand on en fait un jeu, de mot, de langue, de rimes. Le second texte signe le parti pris littéraire de l’auteur, récit du pacte du souffle, de l’apanage de la langue quand tout est délétère aux alentours, quand « l’Angoisse » agit tel un écureuil, un rongeur on pense à certaines pages d’Henri Michaux. Langue qui se bat et s’ébroue et se débat, se cogne, se répète, rebondit et tente le dire en tout, lapsus et fautes de frappe inclus. D’origine italienne, Corinne Lovera Vitali a déjà publié deux romans chez Gallimard le second retrace l’épopée de ses grands-parents antifascites et un roman pour adolescents chez Thierry Magnier, qui abrite également la parution ce trimestre de son dernier album pour la jeunesse. Elle sait passer les frontières, entre les genres, entre les langues, et écrit, forcément, à fleur de peau « parce qu’il n’y a rien d’autre que la peau, il ne peut y avoir pénétration il ne peut y avoir fusion ce sont des idées qu’on s’est inventées il ne peut y avoir que ta peau et la mienne il ne peut y avoir que ça qui est infini, infinie discussion des peaux » d’où, aussi, une lecture qui se fait avec bonheur à voix haute.
Et comme « il est beau de se voir grimper dessus des mots qui n’ont pas été prévus », se pencher sur La Taille des hommes est frais, drôle, revigorant, poétique et émouvant, bref, c’est jouissif.
La Taille
des hommes
Corinne
Lovera Vitali
Éditions Comp’Act
148 pages, 16 €
Poésie À la hauteur
mai 2006 | Le Matricule des Anges n°73
| par
Lucie Clair
Virginia Woolf déclarait en 1924 : « Il me vient une idée délicieuse : j’écrirai tout ce que je veux écrire. » Corinne Lovera Vitali fait que tout ce qu’elle veut nous captive.
Un livre
À la hauteur
Par
Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°73
, mai 2006.