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Domaine français Le psy et son double

avril 2006 | Le Matricule des Anges n°72 | par Thierry Guichard

En quelques pages serrées, Emmanuel Venet restitue la vie du psychiatre d’Artaud. Dans un style à la cruauté implacable qui dénude l’homme.

Gaston Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud

Tout y est de la couverture jaune des éditions Verdier, à la langue qui emballe son sujet, le pèse au trébuchet de l’histoire et le dépiaute en un air de valse sur quarante pages. Tout y est pour qu’on pense à Pierre Michon, à sa Vie de Joseph Roulin, à Rimbaud, le fils. Emmanuel Venet s’est intéressé à Artaud et a mis en joue de sa prose Gaston Ferdière, le psychiatre d’Antonin à Rodez. Premier temps : la généalogie de Ferdière nous donne à voir Saint-Étienne, les billards que fabriquait le grand-père, la tumeur au cerveau de la mère et le cahier de poésie que le fils emporte à la faculté de médecine : « Écrire, donc, et devenir neurologue pour entretenir l’illusion qu’on peut réparer ça. » Le deuxième temps est une « ornière » dans laquelle s’enfonce l’apprenti poète, celle de « la petite notoriété médicale dont ne consolent ni les honoraires exorbitants ni les éloges mécaniques de l’Académie de Médecine. » À la petite gloire provinciale, l’homme pense échapper par la grâce de l’écriture, « martelant encore ses vers contre son écritoire, typiquement le genre de gars à qui on offre des stylos. » Quatre-vingts ans plus tard, Emmanuel Venet, psychiatre aussi, les tient dans sa mire, le Ferdière et sa poésie ; le tir est précis et impitoyable : « Aurait-il recopié le Bottin qu’il l’aurait davantage tordue, la langue ».
Le troisième temps est une voie nouvelle : la psychiatrie. À Villejuif, il « rencontre le verbe déstructuré, grandiose et hermétique des fous : la source même de toute poésie ». Et Venet fait un pont avec aujourd’hui où un asile « même actuel » est un « Babel où chacun martèle la langue pour soi seul et laisse traîner des pépites. » La valse a trouvé son troisième temps : la folie qui peut nourrir à elle seule les deux autres, la poésie et la médecine. Dans les « galeries où l’humanité fait naufrage » et où un « trésor de détresse (s’inscrit) en hiéroglyphes d’urine », c’est sûr que le poète Ferdière avait de quoi bousculer sa langue. La valse est lancée que l’homme va vouloir danser dans les salons surréalistes aux bras des Desnos, Péret et Breton même. En quelques lignes, l’auteur évoque une nuit entre Crevel et Ferdière, la dernière de Crevel qui se suicide le lendemain. La valse reçoit des coups de cymbales qui la font boiter. Le poète en Ferdière se meurt, et Michaux qui lui prend sa femme lui donne peut-être le coup de grâce. L’homme se lance dans la psychiatrie alors comme on plie bagages devant l’annonce d’un désastre : et justement la guerre arrive. Ferdière lobotomise pour la première fois en France mais organise aussi les soins de fortune et « trafique comme il peut pour éviter à ses patients la mort par dénutrition. » On sent poindre dans la phrase d’Emmanuel Venet de quoi racheter l’homme, à défaut d’avoir pu sauver le poète.
En 1941, Ferdière est envoyé à Rodez où il encourage ses patients à créer. Desnos le pousse à sauver Artaud emmuré en zone occupée. En une phrase, Venet dit l’électrochoc, les cochons d’Italie et le Duce, les Allemands et les fours crématoires. Artaud se remet à écrire « une poésie qu’on dirait à la fois vomie et sculptée ». Devant ça, la valse reprend et Ferdière « danse avec un poète fou au-dessus d’un volcan en furie. » Mais c’est une danse du sacrifice. Ferdière jamais n’atteindra Artaud, il le retient du côté de la vie, qui, pour le poète, est hors de la poésie. Venet trouve la formule qui dit le reste : « la danse vire au combat (…). Il y aura un mort, ce sera Artaud ; et un perdant, ce sera Ferdière. » Le médecin choisit la psychiatrie contre la littérature, Artaud le quitte en 46, meurt en 48. Il reste à Ferdière trente-huit ans qui défilent en huit pages au terme desquelles Emmanuel Venet ne le juge coupable que « d’être resté à hauteur d’homme ». Ce que son livre dit magnifiquement.

FerdiÈre,
psychiatre
d’Antonin Artaud

Emmanuel Venet
Verdier
42 pages, 5,50

Le psy et son double Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°72 , avril 2006.
LMDA PDF n°72
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