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Courrier du lecteur Star Ac

novembre 2005 | Le Matricule des Anges n°68 | par Xavier Person

Comment devenir une légende ? Qu’est-ce que la sainteté moderne ? Lire Frédéric Boyer et Christophe Fiat ou relire Gertrud Stein ?.

Comme elle le dit quelque part dans son Autobiographie de tout le monde, pour Gertrud Stein être un saint consistait à se tenir immobile, dans une sorte d’immobilité béate, libéré de tout agir, n’ayant qu’à être soi, tel qu’en soi-même. On conçoit dès lors que pour elle, raconter une histoire, faire le récit d’une vie ne soit pas tant s’en tenir à une progression depuis un début jusqu’à une fin, que répéter, revenir, s’animer dans toutes les directions, tourner mais pas en rond, car on ne repasse jamais exactement par le même point, s’écarter du centre et puis y revenir, mais pas exactement. Bref, tant par son ontologie que par sa syntaxe, mais les deux sont liés, le génie des lettres américaines a tout simplement posé les fondements d’un légendaire du quotidien, d’une sainteté de l’ordinaire, sorte de chamanisme laïque à la portée de tout un chacun, dès lors qu’il s’assume comme génie, dans l’immobilité de son autobiographie répétitive, dans la joie béate du surplace narratif.
Deux livres s’inscrivent aujourd’hui peu ou prou dans cette lignée. Abraham remix où Frédéric Boyer rejoue l’histoire légendaire du prophète sans jamais avancer d’un pouce, écrivant plutôt une suite de phrases qu’un roman à proprement parler, mais des phrases souvent d’une belle et confondante justesse. Par exemple page 123 : « Il arrive que d’être totalement inconnu, totalement sans ressemblance avec rien ni personne autrefois ni personne à l’avenir, il arrive que ça crée toute une histoire presque une légende. » Et Héroïne où Christophe Fiat, sans reprendre à proprement parler les boucles de certaines de ses pièces plus directement sonores, s’attaque lui aussi à la question du légendaire, avec en guest star, par ordre d’apparition, Courtney Love, Sissi l’impératrice, Isadora Duncan, Wanda de Sacher-Masoch et Madame Mao. Avec ce même évidemment du psychologique et de toute épaisseur au profit d’une simple énumération des faits et gestes, dans une évidence quasi enfantine, dans une participation joyeuse à la magie du mythe, dans l’évidence de ce que c’est qu’être un génie contemporain et chanter ou danser comme tel.
À la place de la phrase de la page 123 on aurait pu tout aussi bien citer Gilles Deleuze : « Un individu acquiert un véritable nom propre à l’issue du plus sévère exercice de dépersonnalisation, quand il s’ouvre aux multiplicités qui le traversent. » Car c’est exactement dans ce mouvement que s’inscrit Frédéric Boyer, explosant la figure du prophète en une pluralité d’incarnations dans l’espace et le temps. Car si Abraham dans Abraham remix est le nom du travailleur immigré croisé dans le métro parisien, on le retrouve aussi bien dans un motel américain ou sur Ellis Island, éternel errant aux visages démultipliés. Il pourrait également s’appeler Charlie Chaplin, ayant à se tenir debout en l’absence de toute terre promise. « Il y a des choses qu’il ne comprend toujours pas même si Abraham se souvient avec Wittgenstein que toute explication est une hypothèse ». Et l’histoire et le temps s’accélèrent, alors Abraham est de nulle part, saint autant que criminel de droit commun. Son nom est toujours le même, son histoire est celle de tout le monde et alors bien sûr, à ce niveau d’anonymat, quand on ne sait plus très bien à qui ou à quoi on ressemble, se pose la question du père et du fils, de ce que c’est qu’être un père et de laisser son nom à son fils. Se pose la question de ce que c’est qu’une histoire, toujours semblable et toujours différente.
Sur le même principe de reprise du nom légendaire et avec des phrases également assez steiniennes, Héroïnes fait effraction dans les lieux communs de la starification, mais pour en assumer la poésie. À preuve l’ivresse révolutionnaire qui dans la danse arrache Isidora Duncan à la pesanteur du monde, à preuve aussi l’explosion dans le crâne de Kurt Cobain par quoi s’ouvre le livre. C’est à partir de là en effet que l’écriture chez Christophe Fiat se met en place : quelque chose a explosé, quelque chose ne cesse pas d’exploser dans nos vies et qu’est-ce qu’on en pourra raconter, que saura-t-on raconter de notre naissance ou de notre mort ? Cela deviendra forcément légendaire, puisque telle est notre époque post-warholienne où tellement fragiles sont nos existences héroïques.
Saurons-nous « sauver » quelque chose de nos vies qui sont aussi les vies de tout le monde ? Saurons-nous échapper à la fatalité du début et de la fin et nous bloquer sur quelque extase ? Ne serons-nous jamais immobiles ? Telles pourraient être en tout cas quelques-unes des questions que posent ces deux livres qui, chacun à sa manière, posent les bases d’une sorte d’hagiographie du contemporain.

Abraham remix de Frédéric Boyer,
P.O.L, 223 pages, 17

Héroïnes de Christophe Fiat
Al dante, 217 pages, 20

Star Ac Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°68 , novembre 2005.
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