Une femme regarde bravement sa mère perdre beaucoup de son autonomie suite à un accident cérébral et nous fait avec lucidité le récit à la fois poétique et énergique, sans pitié mais ému, de ses questionnements, de ce qu’elle voit de près se vider de vie, de mémoire et de conscience. Elle nous peint un portrait maternel réaliste, où l’admiration, en hommage, osera côtoyer honnêtement et habilement le dégoût.
Elle témoigne et raconte en s’adressant à celle qui bien avant de l’exaspérer et de tant l’émouvoir, l’amusait : « Nous nagions avec toi jusqu’à la pointe et séchions au soleil, dans les odeurs d’amande et de praline brûlée (…) nous pavanions comme des reines de Saba… tes longs cheveux entortillés dans le creux de ton dos, où ont-ils disparu ? » Ce que l’enfant adulte verra mourir en la mère sera aussi, comme on peut l’imaginer, la perte d’une partie d’elle-même, et cet égarement, matière première du roman de Catherine Soullard, sera rendu en splendeur, avec tant de crédibilité qu’il nous fera plutôt bien oublier la saturation du sujet et de légères maladresses. Cette mère désormais mangeuse monstrueuse de petits gâteaux à la langue pendante sans raison apparente, oubliant les mots, les bonnes manières, la nécessité de vivre, de rire, est-elle bien la réelle mère ? Les souvenirs sont-ils davantage vérité ? Le sens de cette mémoire exilée que sont le passé et le vocabulaire oubliés est alors avec force remis en cause. « On ne te veut plus, on ne t’invite plus. Tu es un bébé énervant qu’on soigne et qu’on protège. Rien ne sera plus réciproque », mais voilà un tableau délicat qui rend justice, un roman qui ose la franchise et y réussit.
Palmito d’Évian de Catherine Soullard
Calmann-Lévy, 131 pages, 10 €
Domaine français Mémoire en exil
novembre 2005 | Le Matricule des Anges n°68
| par
Hélène Pelletier
Un livre
Mémoire en exil
Par
Hélène Pelletier
Le Matricule des Anges n°68
, novembre 2005.