quatre reprises, une par saison, Yves Charnet a résidé au Cayla dans la maison tarnaise du poète Maurice de Guérin, mort en 1839 à l’âge de 29 ans. De ces séjours dans une campagne marquée par le souvenir du poète et de sa sœur, Eugénie, également femme de lettres, Yves Charnet a ramené des notes comme des morceaux épars de poésie. Il s’agit tout autant de s’adresser à « la dérisoire figure de poète mineur », frère en exil intérieur, qu’à, toujours, recoller les morceaux brisés de l’autoportrait. Imprégné à son tour du sentiment de la nature, Charnet irrigue dans sa solitude le sentiment de n’être pas plus de son monde que Guérin ne le fut du sien : le lyrisme de la prose de Petite chambre est un lyrisme empêché, retenu, serré comme un corps que le froid emprisonne. « J’écris pour être lu en 1832 » dit joliment l’écrivain dont la prose se brise à chaque page : « tissu de déchirures. J’aurais fait littérature de toute rature. » C’est taillé dans le vif, haché de points qui expulsent souvent les verbes des phrases. Points comme des poings pour marteler la placide réalité du monde, où la télé, chaque soir, « garde les gardiens » d’un musée officiel. Des phrases restent, serties comme d’infimes poèmes, d’autres tentent de déchirer le vernis d’une campagne où les maisons des écrivains se visitent jusqu’à 18 heures. Cette « auto-biblio-graphie » ressemble à un combat : celui d’un homme qui arrache au temps qui passe, les moments aigus où exister est d’abord un sentiment. Pour ne pas dire : une grâce perdue.
Petite chambre d’Yves Charnet
La Table ronde, 135 pages, 13 €
Domaine français Je de notes
juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65
| par
Thierry Guichard
Un livre
Je de notes
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°65
, juillet 2005.