Anne, tu t’es révélée être le tain mystérieux de mon miroir, l’écho lointain de mes lois d’homme, l’autre hémisphère séparé par le cheveu de l’équateur, et j’arriverai peut-être un jour à savoir qui tu es dans ton ventre. » Tout vient à point à qui sait attendre. Imaginons qu’un homme banal, époux imparfait et fraîchement quadragénaire, mythomane quand ça l’arrange, écrivain quand ça l’arrange, soit saisi d’une banale crise d’urticaire. Pas de quoi fouetter un chat. Imaginons ensuite cet homme toujours aussi banal quelques jours plus tard au réveil, dans le lit conjugal, se tâtant mollement l’entrejambe. Rien que de très masculin. Pourtant, accrochez-vous : ce matin-là, Vincent découvre avec stupeur que quelque chose d’important, de virilement très très important, vient de s’évaporer en l’espace d’une nuit. Une béance gît en lieu et place de son défunt pénis ; pis que ça : un trou, une excavation, l’image inversée de son ex-sexe, c’est-à-dire « rien. Enfin si, un sexe de femme, mais sur le moment j’ai pensé « rien », pardon mesdames ». Prétextant moult et diverses contrariétés (l’angoisse de la page blanche, les démangeaisons liées à l’urticaire, ses crises d’insomnies), Vincent fait diversion, s’ingénie à dissimuler à la pauvre Anne, sa femme adorée, désormais son égale biologique, le séisme qui vient de le secouer. Mais voilà qu’un séjour à Royan, et plus particulièrement une partie de badminton sur le parking de la résidence, vont le contraindre à divulguer sa transsexualité involontaire. Dont acte : « Allez, cria Anne, impatiente de m’achever, tandis que je ramassais le volant à terre. C’est en me relevant que j’ai vu le filet de sang couler le long de ma jambe gauche dénudée (j’étais en bermuda). (…)
- Maintenant tu es une femme.
Anne était assise à côté de moi sur le canapé vert de Royan. Elle me tenait la main. (…) Elle savait tout, désormais. »
Par ce sexe-entonnoir retourné en lui, vers l’intérieur de lui, s’écoulent des émotions et des sensations forcément nouvelles, qui vont sérieusement mettre en branle ses convictions de mâle, certes, mais aussi d’époux et d’écrivain. D’expériences psychanalytiques ratées en délires exorcistes nocturnes (Vincent en drag queen vêtu des strings de sa femme, dans l’un des tableaux les plus touchants et les plus réussis du livre), l’auteur dresse un portrait de lui-même en jeune femme à la fois sincère et burlesque, concrétisant au premier degré ce qui tient du fantasme, de la hantise, de la curiosité insatiable pour les mystères de l’autre sexe ; la mise en mots et en scène la langue de Vincent de Swarte, écriture du je et de l’image, est aussi orale qu’introspective de l’inversement sexuel, rêvé/cauchemardé, brasse tabous et terreurs secrètes ; elle interroge l’enfance, le couple, l’amour homo et hétérosexuel : « M’aimes-tu encore, comme je suis, comme j’étais, comme je suis devenu, comme j’ai toujours été, sans doute, mais maintenant que ça se voit à l’œil nu ? M’aimes-tu ? »
Elle est moi verse largement dans l’autofiction (assumée il est vrai), ce qui en agacera plus d’un et donne quelques longueurs au récit. Le traitement humoristique, même s’il laisse percer quelques envolées de toute beauté, reste un peu léger ; mais le postulat kafkaïen la métamorphose est impromptue, irrationnelle, injuste ; elle relève d’une névrose constante, à la fois inconsciente et universelle appliqué à l’identité sexuelle est remarquablement bien disséqué. « Ma dernière grande transformation physique date de l’adolescence ; il y a un peu de ça, en ce moment. Je quitte ma mue de mâle comme un jour j’ai laissé la voix de mon enfance dans le souvenir chéri de ma mère. Et je m’interroge encore sur le sens profond de la rébellion de mon corps. Et je n’ai pas de réponse. » Avis aux lecteurs hermaphrodites.
Camille Decisier
Elle est moi
Vincent de Swarte
Denoël
205 pages, 18 €
Domaine français Transe sexuelle
mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63
| par
Camille Decisier
Comment dire à l’épouse que vous êtes devenu une femme ? Bizarre et inoffensif, Elle est moi vous donne quelques tuyaux au poil.
Un livre
Transe sexuelle
Par
Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°63
, mai 2005.