Ça commence façon Sergio Leone. La pellicule est blanchie par le soleil, la chaleur fait grésiller la ligne d’horizon, nous sommes en Italie au siècle dernier, un homme retourne à Montepuccio à dos d’âne. C’est un petit village écrasé de chaleur où il a laissé celle qu’il désirait ardemment quinze ans plus tôt, le temps de purger la peine de prison que lui ont value ses crimes. On entre dans le roman avec lui qui n’y restera pas longtemps : il vient aimer cette femme rêvée quinze ans durant et puis mourir, il le sait, sous les coups des villageois qui le détestent. Il ignore alors deux choses. Une qu’il apprendra, hélas pour lui, au moment de succomber, mais qu’on taira ici. L’autre qu’il ne saura jamais : c’est qu’il va donner naissance à une dynastie, un clan plutôt, les Scorta-Mascalzone.
Ça commence en technicolor sur tout l’écran à suivre Luciano Mascalzone, le voyou taiseux et son âne têtu. On se dit là qu’on entre, une nouvelle fois, dans un récit épique, une saga violente et tourmentée comme les aime Laurent Gaudé. On voit le soleil, on devine que les oliviers se tordent sous ses flèches, on attend le sang, on attend la sueur ; puisqu’on sait que « le destin avait envie de jouer avec les hommes, comme les chats le font parfois, du bout de la patte, avec des oiseaux blessés ». Mais Laurent Gaudé se laisse prendre à la terre des Pouilles que ses protagonistes ne parviennent pas à quitter. Il s’attache à suivre cinq générations de Scorta, changeant sa caméra d’épaules. On passe, insensiblement, de Sergio Leone et d’un écran extra large, à une focale plus intime et des plans plus serrés. La plume s’apaise. Traque de moins en moins le feu, pour chercher, sous les pierres, le bonheur qui s’y cache. C’est un repas extraordinaire sous la lumière de la mer mariée au soleil, c’est le goût humble et fier du travail accompli par Carmela et ses frères, Carmela et ses enfants… C’est voir ses ancêtres sortir de terre, après que celle-ci a tremblé, et continuer une vieille partie de cartes. Le roman, parti sur l’épopée, fait des héros qu’il semblait vouloir nous proposer, des hommes dont la disparition « ne ferait pas pleurer les oliviers ». Il se fait humaniste, un brin (un peu trop peut-être) chrétien dans son amour des humbles. Ainsi du dialogue, entre Elia, au seuil de mourir, et le curé du village : « les générations se succèdent. Il faut juste faire de son mieux, puis passer le relais et laisser sa place. »
Les amoureux de Gaudé dramaturge, ou du Gaudé de Cris, regretteront peut-être, que ce soit ici les héros qui laissent leur place. Que l’Alexandre le Grand et sa langue flamboyante du Tigre bleu de l’Euphrate ait laissé la parole aux descendants de ses soldats. Il n’empêche, l’attention du romancier pour ses personnages est si délicate, qu’une fois que le chat a fini de jouer, les oiseaux ne semblent même plus blessés. Et leur chant, pour ténu qu’il soit, n’en demeure pas moins vrai. Humain, exactement.
Le Soleil...
Dossier
Laurent Gaudé
Sous le soleil exactement
octobre 2004 | Le Matricule des Anges n°57
| par
Thierry Guichard
,
Laurence Cazaux
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