Sermons joyeux
Editions Solitaires intempestifs
Poète, romancier et dramaturge, Jean-Pierre Siméon nous offre avec ces Sermons joyeux un drôle d’objet inclassable, à la frontière entre théâtre et poésie. Des sermons conçus, selon leur auteur, comme des harangues, au nombre de six et aux titres non équivoques : Objection du poème, Au vrai chic parisien (Diatribe contre les revenus de tout), Contre l’image, Éloge de l’inconnu, Du jeunisme (Contredit) et Éloge du risque (Appel aux bons vivants). Après un coup d’œil au dictionnaire, un sermon est décrit comme une remontrance importune, un discours moralisateur et ennuyeux, quant à la harangue, elle fait office de discours pompeux et également, ennuyeux, les deux mots ne font pas vraiment « mode ». Jean-Pierre Siméon affirme là que le problème moral est un problème premier. Son écriture est un acte engagé qui cherche à dire le monde. Ce n’est pas pour rien que l’écrivain cite Giorgio Strehler en introduction de son ouvrage : « Le théâtre est le lieu ou l’on fait l’expérience d’une parole à accepter ou à rejeter ». Siméon nous invite à débattre, à objecter, à s’opposer et à prendre plaisir avec une pensée avant tout sensuelle et pas intellectuelle. Et ces sermons, alors même qu’ils parlent de morale et d’engagement, méritent bien leur qualificatif de joyeux. Ils sont, de plus, vivifiants pour l’esprit, ils nous invitent au non-convenu et à l’inconnu. Ces six textes sont amoureux de l’humain, mais d’un amour exigeant et parfois ombrageux.
Dans un avertissement, l’auteur précise : « Je laisse le soin aux gens de théâtre d’inventer pour cet objet incongru les modalités de la représentation. (…) Je souhaiterais au rebours une insolence joyeuse, qui fasse entendre le mouvement intempestif de la pensée, pas dupe de ses excès et, ici ou là, de sa mauvaise foi. Comme le signalait l’ami Schiaretti à l’essai de ces « sermons », Alceste, l’atrabilaire, n’est supportable que parce qu’il est amoureux… » La référence à Alceste, le Misanthrope, est juste car l’excès et la crue sont de rigueur dans ces écrits. Et la force de cette pensée se communique justement par la langue, une langue sensuelle, lyrique, à proférer d’urgence le plus souvent possible. Car pour Siméon, la première façon de s’engager, c’est de donner à lire, à entendre et à mastiquer une langue non servile, problématique, opaque, polysémique, improbable et complexe qu’il oppose à la langue méduse et flasque qui domine aujourd’hui. Et c’est un vrai bonheur que de s’engouffrer avec l’écrivain dans cette langue-là.
Car toujours ces harangues sont des appels au plus intime de nous-mêmes, elles sont écrites comme un appel, un cri, un coup de sang, un coup de colère ou un coup de cœur, on se sait pas trop, mais en tout cas une parole qui libère de l’énergie. Laissons Jean-Pierre Siméon conclure avec un extrait d’Objection du poème, où il nous exhorte à oser la poésie pour « qu’elle exerce chacun/ au doute/ à l’obscur/ à l’incertain/ à la frayeur/ à l’étrange/ à la fureur/ au déni/ comme au désir/ et à la faim vorace du baiser/ qu’elle exerce en chacun/ le muscle de la douleur/ et l’art vorace du baiser/ qui est l’art d’étreindre éperdument l’inconnu/ il y a urgence/ objectons ».
Sermons joyeux
De la lente corruption des âmes dans la nuit tombante
Jean-Pierre Siméon
Les Solitaires intempestifs
54 pages, 9 €