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Poésie Portugal, un pays-poème

juin 2004 | Le Matricule des Anges n°54 | par Richard Blin

Trente-quatre voix pour un panorama poétique où la foudre lente des mots le dispute aux rythmes des corps et de l’Histoire.

Anthologie de la poésie portugaise contemporaine (1935-2000)

Petit pays accroché aux franges occidentales de la péninsule ibérique, le Portugal est grand par ses découvreurs et ses poètes. Des Lusiades (1572) de Camões à la non moins célèbre Ode maritime (1915) de Fernando Pessoa, le lyrisme lusitanien n’est pas un vain mot. Aujourd’hui encore le Portugal est un pays où la poésie qu’António Osório définit comme « le miracle d’une arme/ absolue, d’un seul mot/ réduisant l’atome à l’innocence achevée » est reine. La meilleure manière de l’évoquer étant de la donner à lire, Michel Chandeigne (qui est traducteur1 mais aussi éditeur et libraire) a voulu une anthologie résolument contemporaine puisque couvrant la période séparant la mort de Pessoa (1935) de l’an 2000.
Les trente-quatre poètes qu’il rassemble illustrent l’étonnante liberté de ton et la grande variété d’une poésie qui, par-delà d’inévitables tropismes vers la poésie grecque, espagnole, française et même anglo-saxonne marie à merveille l’ombre et la lumière, la mélancolie et l’amour, l’instant et l’éternité. De Vitorino Nemésio, droit d’aînesse oblige, (1901-1978) à Nuno Júdice en passant par Mário Cesariny, le pape du surréalisme portugais, ou Eugénio de Andrade, le poète le plus populaire, et le plus traduit après Pessoa, c’est l’âme de ce « pays natal de l’océan et des bateaux/ du noir comme couleur professionnelle/ des temples où la dévotion se multiplie en lumières… » (Ruy Belo), et l’esprit de son peuple, qui se donnent à découvrir à travers des personnalités très différentes et les thèmes, quasi obsessionnels, que sont la mer, par exemple, (« des bateaux des bateaux qui larguaient les amarres/ cette matière a fait notre vie peu à peu/ des marins des soldats pris par la mer avare/ et des gens qui pleuraient en leur disant adieu// nous en étions toujours ou presque ou sur un fil/ à courir derrière des ombres bien peu sûres/ sans nous lasser de rêver d’indes et brésils/ de découvrir l’essence des mésaventures… » (Vasco Graça Moura)), ou l’histoire nationale et les fantômes qui la hantent, sans oublier les échos du sébastianisme ou le souvenir d’Inès de Castro (1320-1355) dont l’histoire inspira La Reine morte de Montherlant. Une poésie qui témoigne aussi du régime salazariste (1928-1974) et son ordre moral et policier, comme des milliers de morts dus aux guerres coloniales (1961-1974), ce que Fernando Assis Pacheco ne cesse de dénoncer.
Mais il y a aussi la passion charnelle, dont l’œuvre de Luiza Neto Jorge déborde. Il y a l’autodérision et la tendresse, dont Pessoa, décidément inévitable, disait qu’elle pouvait être tour à tour rêveuse, héroïque, railleuse, mélancolique, métaphysique, mystique… Il y a « la douleur d’être né au Portugal/ sans rien pouvoir faire que le porter tout au fond de son cœur » (Jorge de Sena ). Il y a la vie comme « une ancre perdue échouée/ sur une plage ignorée, que je connais à fond » (Ruy Cinatti), et où se profile l’ombre de l’intraduisible saudade, « un mal dont on jouit, un bien dont on souffre » 2, ce mélange de nostalgie et de désir qui, avec le fado, cristallise l’essence même de l’émotion.
Il y a les femmes qui « frappent de splendeur et d’impureté/ notre limpide, stérile/ vie masculine./ Car les femmes ne pensent pas : elles ouvrent/ des roses ténébreuses,/ inondent l’intelligence du poème du sang de leurs/ menstrues… » (Herbeto Helder). Il y a la sensualité de Sophia de Mello Breyner mêlant l’éblouissant sourire de la beauté antique au songe portugais. Il y a Eugénio de Andrade qui écrit « pour faire de la vieille/ lumière des corbeaux/ le seuil d’un nouvel été ». Il y a Antonio Ramos Rosa. « Le papier, la table, le soleil, la plume…/ À côté, la fenêtre. Et je ne possède rien/ et je ne suis rien de ce que j’écris. Et je n’attends rien/ de tout ce que j’attends. (…) Je ne veux pas attendre,/ je ne veux pas voguer sur le doux océan des mots./ Je ne veux cheminer qu’avec le corps que je suis… »
Il y a ceux enfin dont la découverte donne envie de tout lire, comme Manuel Gusmão, Al Berto ou Luís Miguel Nava (1957-1995), assassiné à Bruxelles, à 38 ans, dans des circonstances pasoliniennes. Mais il n’y a pas, hélas, la musique propre à la langue portugaise, cette couleur du son, cette rythmique et cette plastique impulsée par le jeu de ses accents toniques et l’envergure de son spectre sonore qui lui donne une place unique au sein des autres langues latines. Mais ne boudons surtout pas notre plaisir, et saluons plutôt la gageure réussie qu’est cet ensemble anthologique.

Anthologie de
la poésie portugaise
contemporaine (1935-2000)

Choix et présentation de Michel Chandeigne
Traductions de Patrick Quillier,
Michel de Chandeigne, Michelle Guidicelli et Max de Carvalho.
Préface de Robert Bréchon.
Poésie/Gallimard.
416 pages, 8,60

1Il a traduit Pessoa, Al Berto, Eugénio de Andrade ou Nuno Júdice.
2Comme la définissait, au XVIIe, dom Francisco Manuel de Melo.

Portugal, un pays-poème Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°54 , juin 2004.
LMDA PDF n°54
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