Une malédiction s’acharnerait-elle sur ceux qui, contre le flot de l’histoire et la servilité des peuples, se dressèrent et luttèrent ? Qu’il s’agisse de la Résistance française ou, plus encore, de ceux qui tentèrent, en Allemagne même, de s’opposer au nazisme, rares sont les romans qui témoignent de ces combats de l’ombre, vains parfois, souvent dérisoires mais toujours nobles. Hans Fallada écrit Seul dans Berlin en 1947, peu avant de mourir ; il rend compte ici, le plus exactement possible, d’une épopée modeste et tragique. Les Quangel, couple de prolétaires berlinois, décident de rédiger, puis de semer aux quatre coins de la ville, des lettres dénonçant la démesure et l’imposture du régime hitlérien résonne alors, une fois encore, dans cette insoumission tenace mais presque inaudible, le Non d’Antigone. Autour d’eux s’agite une masse indistincte et pitoyable, un grouillement de victimes et de bourreaux, de voleurs volés, de dénonciateurs dénoncés. Le roman accumule les descriptions féroces, les détails révélateurs, les scènes ridicules ou pathétiques, les ébauches de monologues intérieurs en une succession totalement maîtrisée de courts chapitres, à la manière de Döblin dans Berlin Alexanderplatz. Bien sûr les Quangel auront à subir les tortures de la Gestapo, et une exécution sans gloire mais la conscience de la validité de leur choix les transfigurera peu à peu, leur permettra d’atteindre une sorte de sérénité, et les derniers chapitres acquièrent ainsi une admirable dimension dostoïevskienne.
Seul dans Berlin de Hans Fallada
Traduit de l’allemand par A. Virelle et A. Vandevoorde, Folio, 560 pages, 7,30 €
Poches Improbables héros
mars 2004 | Le Matricule des Anges n°51
| par
Thierry Cecille
Un livre
Improbables héros
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°51
, mars 2004.