Des promesses de sincérité aux résonances bibliques de Jean-Jacques Rousseau jusqu’aux manières futées et parfois tonitruantes de l’autofiction, l’autobiographie moderne témoigne des efforts accomplis par les écrivains pour mettre en scène leur vérité. Comme le suggère le titre de ce récit, Lucette Finas dont, en 2002, les éditions Farrago ont réédité L’Échec, son premier roman se plie aux lois du genre sous une injonction amicale : « Parlez-moi de vous, c’est cela qui m’intéresse », lui dit « l’Éditeur », comme si cela allait de soi. « Vous vous cachez derrière les faits, vous cachez vos émotions. » Ce face à face entre le commanditaire et l’écrivain rythmera l’ensemble du récit : l’auteur cherche à donner satisfaction à un éditeur qui estime qu’elle ne va pas assez loin dans le dévoilement. Se mettre à nu est pour elle une épreuve difficile qu’elle franchit par étapes : ce sont les liasses de feuillets qu’elle remet périodiquement pour lecture à l’éditeur et qui inspireront à ce dernier des commentaires caustiques : quand donc décidera-t-elle de répondre à sa demande ?
Pour Lucette Finas, l’affaire est complexe, la vérité doit être soumise au risque de la pudeur encore que ce terme soit de ceux qui connaissent de perpétuels déplacements de sens. Raconter, donc, cette enfant de « deux mères », qui a constamment redouté d’en aimer une plus que l’autre ; qui a traîné avec soi le tourment de n’avoir pas suffisamment clamé l’attachement viscéral à ces aimées disparues : sentiment universel que celui-là, nourri par les deuils successifs d’une longue vie. On trouve dans Parlez-moi de vous ! de très belles pages sur la disparition des êtres chers. Un jour, revenant de l’école, la petite Lucette va vivre pour la première fois une telle épreuve. La douleur est comme suspendue dans la banalité des instants qui précèdent la nouvelle : « une voisine en faction devant la porte », le père attablé, « de trois-quarts, mangeant une tranche de jambon tout en lisant le journal. » Ces mots, encore, sur l’absence, quand on revient où l’autre n’est plus : « cette scintillation du définitif, cet éblouissement cruel dans la pièce où rien n’a changé, où tout est à sa place (…) je les retrouverai lors de tous mes deuils. »
C’est peut-être à cela qu’on discerne la portée d’une œuvre, dans ce qu’elle nous dit de nous au-delà de la diversité des expériences. Dans le compartiment d’un train, un inconnu observe vos parents et leur inflige un regard de mépris puis s’en va comme pour s’épargner leur présence. Une autre fois, vous voulez prouver à votre père qu’il a fait une erreur, mais vous renoncez pour ne pas l’humilier. Une jeune fille meurt, qui a votre âge, et vous vous reprochez d’être restée « pleine de vie » : comme pour vous punir, vous interrogez inlassablement le sort qui l’a frappée et vous a épargnée. Jusqu’à ce que ce « tourment » laisse « place à un nouveau souci », abandon vécu lui-même comme une « trahison à l’égard de la ou des victimes. » On entrevoit une vie sur quoi plane constamment le sentiment du précaire, « où les bonheurs sont pétris d’angoisse, exaspérés par l’angoisse. » L’enfance, bien sûr, occupe la part essentielle de ce livre : un temps marqué par un amour éperdu de l’école, une passion pour l’étude qui plus tard éloignera Lucette Finas du milieu ouvrier grenoblois où elle a grandi. L’éditeur pygmalion pourra reprocher à l’auteur de ne lui avoir pas donné son content de révélations, de confessions charnelles. Il reste qu’un livre s’est écrit qui, pour avoir refusé l’exhibition, n’en a pas moins circonscrit la source et esquissé les contours d’une vie. Ce qui n’est pas rien.
Parlez-moi de vous !
Lucette Finas
Farrago/Léo Scheer
205 pages, 14 €
Domaine français Parler déçoit
janvier 2004 | Le Matricule des Anges n°49
| par
Jean Laurenti
Dans un livre inspiré par la demande d’un éditeur, Lucette Finas fait revivre son enfance dans le Grenoble ouvrier d’avant-guerre.
Un livre
Parler déçoit
Par
Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°49
, janvier 2004.