Le travail de la traduction est une curieuse alchimie : il exige bien sûr une exacte connaissance de la langue de départ, mais le traducteur doit également oser, prendre parti, se risquer. Plus encore, peut-être, quand le texte, comme celui-ci, est une œuvre-limite. Georges-Arthur Goldschmidt, traducteur de Handke (voyez le magnifique Chinois de la douleur) et de Kafka, par ailleurs romancier et essayiste, l’explique en introduction et le met parfaitement en pratique : il tente de « conserver la figure de ce qui est écrit », de « restituer très exactement les gestes, les blocs d’angoisse, les surgissements de la conscience… » Il parvient alors à rendre (cette édition bilingue peut permettre de s’en assurer) la langue de Büchner à la fois simple, concrète, et cependant énigmatique dans sa clarté. Les mots, placés côte à côte comme les tesselles d’une patiente mosaïque, suivent pas à pas la chute douloureuse du héros, l’avancée de la déraison : Lenz, poète et dramaturge du Sturm und Drang, ancien ami de Goethe, traverse les forets, franchit les sommets des Vosges, se rendant chez le pasteur Oberlin (dont les « Notes » sont ici publiées, nous permettant d’apprécier le travail de choix et de transfiguration de Büchner). Là, dans la neige et la solitude, le silence bruissant, les aubes éblouissantes et les crépuscules, Lenz oscille entre l’extase et l’effroi, il appelle, il crie parfois, il plonge, dans l’eau glacée, la quête de Dieu ou l’espace ouvert. Si vous ne l’avez pas encore approché, nul doute que c’est avec un indéfinissable mélange de compassion et de terreur fascinée que vous découvrirez Lenz l’homme qui tombe.
Lenz de Georg Büchner
Traduit de l’allemand par G.-A. Goldschmidt
Éditions Vagabonde (18, rue Didot 75014 Paris)
118 pages, 14 €
Histoire littéraire L’homme qui tombe
octobre 2003 | Le Matricule des Anges n°47
| par
Thierry Cecille
Un livre
L’homme qui tombe
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°47
, octobre 2003.