On ouvre et referme La Porte de Magda Szabó (née en 1917) sur deux chapitres éponymes. Dans le premier, la narratrice, écrivain, confesse qu’elle a tué une femme alors qu’elle voulait la sauver et décrit le cauchemar qui la poursuit depuis. Le dernier chapitre s’achève sur ce cauchemar. Avec l’implacable logique d’un roman policier. La construction est cependant trompeuse, car si l’aveu de départ nourrit le suspense tout au long du récit, celui-ci s’avère plutôt le portrait de la femme « tuée », Emérence, vieille concierge de Budapest, et l’analyse psychologique de ses relations avec l’écrivain, chez laquelle elle travaille comme aide ménagère. Très croyante, la narratrice vit du produit de son esprit. Emérence « n’aime pas les mots inutiles » et considère l’écriture comme « un vice pardonnable, comme la gourmandise ou la boisson ». Elle entretient des rapports animistes avec le monde et se moque des dévotions de sa patronne. Sa « loi interne » déconcerte, perturbe et parfois blesse la narratrice, qui la voit tantôt comme une sorte de sorcière ou « chef de tribu primitive », tantôt comme une fée ou « être mythologique ».
Cette relation ambivalente, auscultée dans un style simple et personnel, n’empêche pas Emérence d’ouvrir la porte de sa maison, jusqu’alors résolument fermée, à l’écrivain. De chaque côté de cette porte, s’affrontent, symboliquement, la culture, représentée par la narratrice, et la nature, incarnée par Emérence. Ce récit est peut-être également une critique de l’ingérence de l’un sur l’autre, le sauvetage de la narratrice conduisant sa fidèle employée vers la porte… du Paradis.
La Porte
Magda Szabó
Traduit du hongrois
par Chantal Philippe
Viviane Hamy
286 pages, 21,50 €
Domaine étranger Derrière la porte
septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46
| par
Emmanuelle Bal
Un livre
Derrière la porte
Par
Emmanuelle Bal
Le Matricule des Anges n°46
, septembre 2003.