Joanna Leary, à qui l’on doit l’édition de ce Choix de lettres, est partie sur les traces de Henri Thomas en 1995. À l’origine de ses recherches : deux mystérieuses caisses de documents que l’écrivain, avant de mourir, révèle avoir abandonnées. L’universitaire enquête en Angleterre, sans succès, puis en France où elle rencontre les amis, les membres de la famille de Thomas, accumulant des copies de sa correspondance. Ce n’est que quelques années plus tard qu’elle retrouve les fameuses caisses. On lira le récit de ses investigations, nourri d’inédits ainsi récupérés, dans un prochain livre à paraître chez Gallimard.
Quels critères ont présidé au choix des lettres ?
Séduite par le parcours extraordinaire de cet homme/écrivain, je voulais créer un espace qui lui permettrait de « se raconter ». Les informations supplémentaires aux lettres sont limitées à celles qui me paraissaient essentielles pour faciliter le déroulement du récit.
Thomas avait déclaré qu’ « il ne voulait pas être vu, après sa mort, autrement que comme il avait vécu ». S’adressant aux divers destinataires, il se présente donc dans les différents rôles que lui a imposés la vie, comme enfant et fils, collégien, soldat, mari et amant, professeur, homme de lettres et ami mais, surtout, c’est la voix du philosophe que l’on entend dans ces lettres.
En quoi ces lettres ont-elles à vos yeux une valeur littéraire ?
Elles remettent en cause la définition classique de l’espace épistolaire, voire, la réduction de la distance qui sépare deux correspondants. Thomas tient son destinataire rigoureusement à l’écart, le séduisant par sa maîtrise du langage, comme par ailleurs, il savait si bien faire dans la vie réelle. (Sa réputation de raconteur est légendaire.) Ses lettres ne sont pas la contrepartie d’un échange. Elles ne fournissent qu’un minimum d’éclairage du côté du destinataire.
En quoi peut-on dire que l’œuvre de Thomas s’inscrit dans le XXe siècle ?
Le XXe siècle fut révolutionnaire, par les immenses progrès scientifiques (sur lesquels Thomas n’a cessé de se documenter) et par la contestation des valeurs de la société occidentale. L’œuvre de Thomas constitue un bloc de résistance, saisissant et témoignant de l’authenticité de la tradition humaniste, qui dépend de la confiance dans la vie et l’amour du prochain. Thomas, lui-même, appartient au corps si cher à la culture française, le corps des « clercs ».
Malgré les prix qui l’ont couronnée et les rééditions, comment expliquer le caractère toujours confidentiel de l’œuvre de Henri Thomas ?
Onze prix dont le Premier Prix du Concours Général en 1931, le Femina en 1961 et le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres en 1992. Plus de cinquante ouvrages, romans, nouvelles, traductions, essais critiques, poésie, publiés chez six maisons d’édition et une œuvre qui s’est peu vendue. Une anomalie curieuse. La critique s’est parfois demandée si Henri Thomas fut...
Entretiens “Un bloc de résistance“
septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46
| par
Benoît Broyart
Un auteur
Un livre