La traduction d’une nouvelle écrite par Jorge Luis Borges et Luisa Mercedes Levinson (La Sœur d’Eloísa, Verdier), un recueil d’essais courts, un recueil de nouvelles et un roman : l’année 2003 sera d’autant plus prolixe pour Christian Garcin qu’un livre de poèmes est attendu en automne chez L’Escampette… En trois ans, l’écrivain d’Aubagne a donné plus d’une douzaine de titres à ses lecteurs, dont Le Vol du pigeon voyageur (Gallimard, 2000) qui lui valut un certain succès. Cet éparpillement des genres et des livres n’est qu’apparent. Il suffit de lire la triple livraison de cette année pour percevoir qu’une même voix s’y fait entendre : une voix ténue, claire comme un dessin d’Hergé, mais habitée par une sorte d’effroi face au monde. Une voix d’intranquillité contenue. Cela se perçoit dans Labyrinthes et Cie où sont évoquées des lectures subjectives et sensibles entre autres de Kafka, Borges, Lobo Antunes ou Volodine. Cela se devine dans le fantastique des nouvelles de Fées, diables et salamandres. Cela fait le sujet du roman, L’Embarquement.
Thomas est un homme « toujours très émouvant » qui fuit et boit beaucoup de vodka. Mais peut-être fuir et boire revient-il toujours à se chercher… Il souffre de ce que le temps s’est accéléré au point que le présent n’a plus lieu, et que l’apparence (l’appartenance aux images) vaut plus que ce que l’on est. La lecture d’un journal rend insupportable le malaise. Il quitte une fois de plus Marie qui le comprend et aimerait l’aimer au quotidien, et file dans un voyage par étapes : chacune d’elles lui offre une ville d’Europe et de retrouver une ancienne maîtresse, un ami. On se dit que Thomas fait son voyage d’adieu.
Avec ses huit parties découpées chacune en trois chapitres, L’Embarquement est une valse. Le premier temps est celui d’une voix narrative neutre, le deuxième est donné aux ami(e)s et le dernier nous donne le témoignage de Thomas lui-même. Une valse se joue dans le déséquilibre permanent et Thomas titube ainsi dans la vie ou dans l’amour. Dans sa répétition rythmique, la valse apaise comme une ritournelle et permet peut-être cette consolation qu’il va chercher d’une femme l’autre. De Budapest à Munich, de Bologne à Prague, Thomas ramasse les morceaux de lui-même, comme on récupère ses affaires après un divorce. Une douceur s’installe dans cette écriture toute de retenues, on voit un peu de lumière dans les dernières pages qui annoncent une aube nouvelle. Loin du monde assurément, mais dans l’amour peut-être.
Vous sortez trois livres d’un coup plus une traduction de Borges. Après Lexique paru en octobre. Cette prolixité ne risque-t-elle pas de vous nuire ?
C’est possible. Mais je n’ai pas l’impression d’être prolixe. Ces livres paraissent en même temps mais n’ont pas été écrits en même temps.
J’ai vraiment l’impression de ne pas écrire assez, d’avoir toujours devant moi ce que je dois faire, d’avoir une œuvre qui m’attend mais qui est loin, dans les brumes....
Entretiens Nocturne européen
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Thierry Guichard
Peut-on partir pour se trouver ? Écrire et lire pour s’incarner ? Christian Garcin arpente la littérature et la fiction pour découvrir peut-être un espace où vivre en humain.
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