Si on s’interroge toujours pour savoir si celui qui survit dans la mémoire de la postérité sous le nom d’Omar Khayyâm est le même homme que le mathématicien et philosophe qui vécut de 1048 à 1131, l’essentiel est ailleurs. À une époque où l’orthodoxie islamique se durcit au point de friser l’intégrisme, il est dans l’audace d’une pensée qui a choisi la légèreté du quatrain pour énoncer une sagesse qui désamorce tous les credos du pessimisme mortifère. Et de fait, « on est étonné de cette liberté absolue d’esprit que les plus hardis penseurs modernes égalent à peine » disait Théophile Gautier des quatrains de Khayyâm. C’est que face au triomphe de la mort et du néant, chacun de ses quatrains est un défi à la bien-pensance et une invite à la clairvoyance.
Le plaisir de penser est ici tout autant une manière de régler des comptes - avec le Créateur, la religion, le scandale de la mort (« Mais les membres délicats/ de tant d’êtres de beauté,/ Quel amour les a créés,/ quelle rage anéantis ? »)- qu’une façon d’instiller une sorte d’éthique et d’esthétique païenne de l’existence. Car le problème n’est pas tant d’avoir à disparaître que de bien vivre en attendant. D’où ces propositions sans cesse réitérées pour un autre usage du temps. « À ce qui fut et s’en fut/ ne pensons plus, ma beauté ;/ Il n’est d’autre vérité/ que nos plaisirs éphémères ». Habiter l’instant, la pure immédiateté… « Bois le vin, cueille la fleur :/ tandis que tu considères,/ La rose devient poussière/ et la verdure sarment. » Appels à faire de l’ici-maintenant une durée magique, un présent dense et jubilatoire.
Une poésie dont le fruité, le mordant a quelque chose de la nudité à haut voltage du plaisir quand il se double d’un déshabillage de l’âme au cœur de l’instant quintessencié.
Cent un quatrains
de libre pensée
Omar KhayyÂm
Traduit du persan par Gilbert Lazard
Gallimard
112 pages, 11,50 €
Poésie Un instant d’éternité
mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43
| par
Richard Blin
Un livre
Un instant d’éternité
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°43
, mars 2003.