Composé à quatre mains, constitué de 73 pages de double bandes de proses, Pas une semaine sans Madame est un livre des marges, à quoi il faut ajouter celui des froissements : parce qu’il se trouve que « Madame », tout du long, malgré l’attention scrupuleuse que lui apportent ses deux compagnons, Alain Freixe et Raphaël Monticelli, s’éloigne à mesure qu’on l’approche. Elle s’envoile, dirait-on, comme un rideau, elle flotte et file au dehors. De leur terrasse, nos deux Jules et Jim sont alors comme deux enfants ébahis : l’un dit « N’avez-vous jamais senti ce souffle venu de rien ? (…) Madame se manifeste », l’autre constate « Parfois Madame boite. C’est malchance sur les herbes devenues noires ! Cet air de musique qui ne rend pas les armes (…) c’est la marche. C’est Madame, sa vérité persistante ».
Toute la question du livre est alors celle de l’écoute juste, de l’attention portée à ce qui fait trace dans le monde, à ce qui va, rapide « sur le plissé de l’air ». Trois gouttes de sang sur la neige furent pour le Perceval de Chrétien de Troyes trois traces pour rêver les signes fugaces du monde. « Madame » est, elle, pour Alain Freixe et Raphaël Monticelli, un élan sans cesse en avant, « des éblouissements dans les escaliers où sèchent quelques tapisseries anciennes », une présence « aux confins bleus de l’ombre ». « Madame » ressemble bien aux sortes de bas-relief en papier froissé, déchiré, de Jean-Jacques Laurent, qui accompagnent la lecture. Ponctuant le livre de plis, elle « donne à voir tout ce qui lui a déjà échappé. Ce qui est déjà là-bas. De l’autre côté, forcément ». « Madame » est le rien de l’air, le rien qui fait la respiration, l’expir et le respir, la syncope entre deux souffles où l’on vacille et perd la tête : « Madame est une glissade sur la part glacée de la neige. Le contrecoup de la lumière ». Madame est une Alice, Alice est Madame de… Voilà sa vitesse.
Pas une semaine sans Madame
Alain Freixe, RaphaEl Monticelli
L’Amourier
80 pages, 11 €
Poésie Éloge d’une soupçonnée
janvier 2003 | Le Matricule des Anges n°42
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Éloge d’une soupçonnée
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°42
, janvier 2003.