Le premier roman de Jean Marie Gustave Le Clézio contraste étonnamment avec le reste de son œuvre. D’une noirceur absolue, Le Procès verbal (Gallimard, 1963) conte l’isolement d’un jeune homme, en quête d’identité, dans une maison abandonnée de l’arrière-pays niçois. Ce dernier s’identifie à tout ce qu’il voit, le chien qu’il suit, le rat qu’il massacre… Le premier roman de Philippe Ségur semble écrit dans la même veine, la même hyper lucidité et engendre les mêmes malaises. Enfin, pas tout l’ouvrage, rien que les quatre-vingt-sept premières pages où il décrit la prostration d’un être jeune, amoureux éperdu d’un chien, Knult, reclus dans la soupente d’une maison bourgeoise toulousaine. Le reste du livre, une conventionnelle enquête policière à l’accent et aux expressions locales sympathiques, nous importe peu.
Avec l’ingestion du chien entrecoupée de retours en arrière célébrant la première rencontre et les péripéties de cette passion, Ségur offre une descente aux enfers qui mène de la solitude à la folie. « Ce que je voulais était au-delà de la vie et, par là même, hors de ma portée. Je ne savais pas ce que je voulais. » L’ex-étudiant en rupture avec la société, son conformisme bourgeois, suit pendant six ans pas à pas l’animal. De ce dernier, il prétendra avoir appris tout ce qu’il sait ; un rapport singulier, bestial à la survie, la ville, la liberté, la marginalité. Mais Knult sera empoisonné. Fou de douleur, notre héros le cuisinera, le mangera, conservera sa peau et ses os. Les descriptions détaillées du dépeçage, des préparatifs culinaires, les rappels nostalgiques de cette affection transforment la lecture en intense mastication métaphysique sur l’être et le néant. La langue riche, classique, aux phrases amples, presque lumineuses, le lyrisme affecté, parfois un faux ton primesautier induisent un décalage contrasté. Un roman réussi à moitié. Dommage que par la suite l’écrivain ait changé de registre et plutôt choisi la facilité. « Il est parti, vous dis-je. Et moi, je me déteste avec ma gueule d’ange, mes propos de parjure, mon esprit carnassier. Savez-vous ce que c’est que d’avoir eu un maître et de l’avoir mangé ? »
Métaphysique du chien
Philippe Ségur
Buchet-Chastel
254 pages, 13,50 €
Domaine français Hot dog littéraire
novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41
| par
Dominique Aussenac
Un livre
Hot dog littéraire
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°41
, novembre 2002.