Ils sont donc quatre : le mort qui est le père de Dun et de Hirta, le frère et la soeur donc, Boreray enfin, la femme de Dun et l’amie d’enfance de Hirta. Trois vivants réunis pour veiller le défunt. Et se retrouver, du coup, seuls chacun face à soi-même et face aux liens entretenus avec les deux autres. Devant le mort, et comme c’est un père, la veillée prend des allures de mise à nu et de retour en arrière, au temps de l’enfance et de tous les possibles. Une façon de mesurer les gouffres intimes : « On a quel âge devant ses morts sinon tous ses âges à la fois/ Il faudrait les mains pour dans la tête retourner ça. »
Ce qui surprend d’abord dans la pièce de théâtre dont la création prévue en mars au Studio de la Comédie Française a été reportée à l’automne, c’est l’écriture de François Bon. Avec Racine en exergue, l’écrivain a recréé la langue de la tragédie classique sans en faire une imitation : le vers est libre mais les voix ici sont théâtralisées dans la syntaxe même. Dans le huis clos mortuaire, les trois personnages tombent les masques et sortent les griffes : jalousies, reproches détissent les liens de la famille, du mariage et de l’amitié et finissent par atteindre à la nudité de l’humain, celle dans laquelle finalement les morts s’endorment. Pièce sur le sens de l’existence, Quatre avec le mort atteint la dimension des écrits des grands moralistes. Au finale toutefois chacun reprendra la place qu’il convient d’occuper dans le monde : restera alors pour le lecteur une musique sacrée en forme de requiem pour un dieu mort. Ne nous y trompons pas : ce dieu n’est pas le père défunt, mais la divinité que chaque enfant porte en lui et assassine pour grandir. Hirta, née après une soeur morte à six semaines, Dun, qui s’était enfui du domicile familial et Boreray qui, en choisissant de partir avec Dun a trahi sa meilleure amie, veillent finalement leur propre mort. Et nous avec eux.
Quatre avec le mort
François Bon
Verdier
72 pages, 10,30 € (67,56 FF)
Théâtre Nos propres funérailles
mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38
| par
Thierry Guichard
Un livre
Nos propres funérailles
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°38
, mars 2002.