Si le théâtre offre la possibilité de redonner la parole aux morts, alors Laurent Gaudé réussit ce rituel avec Cendres sur les mains, les cendres, celles des morts, des dévastations, mais celles aussi dont on renaît. Le texte est court, avec une situation poussée à son terme de manière implacable et très efficace. La pièce se déroule pendant une guerre. Des fossoyeurs 1 et 2 brûlent les cadavres, ils exécutent les ordres mais la fumée les irrite, les démange jusqu’au sang. Alors, ils font grève pour obtenir de meilleures conditions de travail. Ils préconisent la chaux plutôt que le bûcher. Ces deux-là sont plus bêtes que méchants, leur irresponsabilité et leur aveuglement épouvantent et pourtant le rire surgit malgré l’horreur, on touche au grotesque. Un jour une rescapée se relève du bûcher. Pour ne pas être accusés de collaboration avec l’ennemie, les fossoyeurs en font leur esclave, elle se retrouve à brûler les siens. Silencieuse face à l’horreur, sa seule façon de retrouver un peu d’humanité va consister à apprendre chaque mort par coeur, avec ses mains, pour tous les retenir avant qu’ils ne brûlent. Ce texte-là, c’est sa force, alterne le rire grimaçant et le tragique. C’est nouveau de voir Gaudé s’attaquer au grotesque. C’est dans la bascule entre ces deux types de voix, une voix presque quotidienne, préoccupée de problèmes pratiques, le savon, la chaux, la fumée, et une autre voix plongée au coeur même de la douleur, partagée entre le silence et le cri, que l’écrivain cherche à faire entendre l’horreur.
Interdit par l’horreur du témoignage d’une rescapée kosovare, Laurent Gaudé se demande comment le théâtre peut approcher cette douleur : « Cette parole-là est brute (…). Telle quelle, elle est inassimilable par le théâtre. Elle dit trop brutalement les choses. N’offre aucun espace de réflexion, d’images aux spectateurs (…). Mais il doit y avoir une façon de faire que le théâtre, à sa manière, s’ouvre à ces blessures (…). Il faut trouver des voies d’écriture pour approcher cela (…). La scène doit avoir cette ambition-là : celle de s’ouvrir aux fureurs du monde ».
Cendres sur les mains
Laurent Gaudé
Actes Sud-Papiers
42 pages, 7,50 € (49,20FF)
Théâtre La fureur du monde
mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38
| par
Laurence Cazaux
Un livre
La fureur du monde
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°38
, mars 2002.