Tout vient d’un trou de mémoire et d’un parcours de souris. La mémoire défaillante est celle du narrateur qui veut tenter de savoir quelle sorte d’enfant il était. Le parcours de souris est celui créé par son père, scientifique compilateur et archiviste auteur d’une « encyclo-ethno-zoo-neuro-éco-psycho-socio-pédie » dans laquelle les petits mammifères rongeurs tiennent une place importante. Cerné par la science interprétative dès son plus jeune âge, le narrateur procède a posteriori selon une interprétation paranoïaque : il fut lui-même un cobaye pris dans un labyrinthe dont son père usait de la même manière qu’avec ses souris. Le récit d’Yves Pagès suit ainsi cette logique labyrinthique dans l’espoir de remonter à la source, s’égare parfois, compile les souvenirs et les éléments tangibles, cède à la tentation des listes pour mieux combler par le vocabulaire cette absence essentielle et retrouve des bribes de ce qu’il fut et de ce que fut l’époque de son enfance. Comme les fiches écrites par son père qui relatent les évolutions du langage chez le narrateur enfant, le récit va s’éclairant d’une façon assez touchante et laisse entrevoir une libération non seulement de la prison familiale (pleine de bonnes intentions) mais aussi des dérives de l’interprétation a posteriori.
Comme dans Petites natures mortes au travail (Verticales, 2000), Yves Pagès articule avec talent l’intime et le social -il est ici question de la fabrique sociale, de l’acceptation ou non du rôle de cobaye et d’une société dans laquelle l’observation et ses interprétations s’immiscent partout dès le plus jeune âge. Malgré quelques longueurs tendant peut-être à sur-signifier la thématique du labyrinthe, on trouve dans ce récit quelques perles de concision, comme cette description de l’évolution de la maladie du père du narrateur qui respecte le style paternel retrouvé sur des milliers de fiches : « petit a/, l’auto-piétinement ellipsoïdal du singe en captivité ; petit b/, l’avachissement ruminationnel propre aux herbivores ; petit c/, la posture contemplative du chien d’arrêt ; petit d/, la demi-somnolence du dauphin en apnée… enfin, petit z/, la dépression nerveuse du néandertalien végétatif. »
Le Théoriste
Yves PagÈs
Verticales
252 pages, 98 FF (14,94 €)
Domaine français Trou de souris
septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36
| par
Christophe Dabitch
Un livre
Trou de souris
Par
Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°36
, septembre 2001.