Avec son premier roman, Zeitnot, Jacques Vignon a frappé fort. L’éditeur a ceint le livre d’une bande rouge avec ces simples mots : « L’amour rue Saint-Denis ». Le paradoxe de cette formule tient à ce que la rue Saint-Denis, à Paris, évoque plus la sexualité vénale que l’amour. Pourtant, le livre refermé, ces mots sonnent juste.
Un homme dont on ne sait pas grand-chose, sinon qu’il est enseignant, monte avec une jeune prostituée. Aimant ce corps et son odeur, il prend un plaisir fou à faire un cunnilingus dont il n’avait osé formuler la proposition qu’avec gêne. Serions-nous dans l’érotisme ? Dès les premières pages, où les actes de l’amour sont évoqués comme autant de gestes de douceur, on pressent que l’auteur ne cherche aucunement à nous émouvoir de cette façon. La suite nous prouvera que ce n’était pas du tout son ambition. Alors, que se passe-t-il dans ce court roman ? Qu’est-ce que ce rapprochement si intense, si troublant de deux corps, lorsque les personnes se connaissent à peine, mais sont soudain tout heureuses de cette jonction au point de ne pouvoir s’en passer, d’avoir hâte d’y revenir ?
On se demande avec une insistance croissante de quoi la force subite de cette liaison est le négatif, des signes habilement disséminés nous donnant le pressentiment que ces deux vies, celle de l’homme surtout, sont au plus mal. Ce plaisir partagé exprime, ou réfracte, de part et d’autre, l’idée d’un naufrage imminent, sans réel espoir d’éclaircie, de dépassement, de sortie.
Une telle relation si vite nouée par deux êtres qui, l’un par l’âge, l’autre par l’expérience vécue, sont si loin de l’adolescence, c’est une aventure dont on doute qu’elle soit « gérable » dans la durée… Des pressentiments surgissent de-ci de-là à la lecture de ce texte réaliste qui surprend par la force de ses non-dits et la maîtrise de son écriture.
Loin de nous donner à penser qu’ils songent à construire un avenir commun, ces amants vivent de précieux instants ensemble, comme si leur passé les tenait à distance d’un bonheur durablement partagé.
Zeitnot
Jacques Vignon
Gallimard
144 pages, 88,55 FF (13,50 €)
Premiers romans L’amour d’une “fille”
septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36
| par
Jacques Goulet
Un livre
L’amour d’une “fille”
Par
Jacques Goulet
Le Matricule des Anges n°36
, septembre 2001.