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Poésie Espèce d’idiot

août 2001 | Le Matricule des Anges n°35 | par Xavier Person

Avec Ma haie, Emmanuel Hocquard aère l’espace. Dans un livre qui rêve de n’être pas un livre, il n’écrit pas des phrases, pour échapper au format littéraire.
Des poètes sont des poètes. Ils font de la poésie. Ils ne remettent rien en question des chemins qu’ils empruntent dans la langue, de leurs sentiments poétiques.
D’autres poètes, heureusement, ne sont pas des poètes. Un peu comme le Bartleby de Melville, plutôt que d’acquiescer au monde et à ses représentations, à son langage et à sa grammaire normative, ils font un pas de côté, tournent le dos aux discours de l’opinion commune, ne disent ni oui ni non. Ils biaisent. Ils entraînent la langue hors de ses sillons familiers. Ils bégayent un peu et ils l’assument. « I would prefer not to » répondent-ils plutôt que de rentrer dans le rang et leur réponse est un vertige joyeux, une déflagration dans l’ordre du monde et des phrases.
De ce point de vue, mais aussi parce que son oeuvre fait entendre une intonation d’une qualité très singulière, d’une clarté qui lui est propre et qui engage quelque chose de l’ordre d’une sincérité intégrale, les livres d’Emmanuel Hocquard sont d’une radicale importance. Dans le champ de ce qu’on a pu appeler la « modernité négative », ils ont poursuivi au cours de ces vingt dernières années un travail d’une étonnante mobilité, d’une intelligence joueuse de la langue, critique, inventant peut-être l’idée d’une littérature conceptuelle, mais dont l’abstraction n’est jamais desséchante, entraînée au contraire dans quelque chose de l’ordre de l’amitié, de l’intime.
Mélange de notes, de poèmes, de bouts de journal, de lettres à des amis, etc., Ma haie est d’abord une remise en question de l’idée même de livre. S’agissant, selon les mots de Ludwig Wittgenstein, de se demander comment le livre peut être ce miroir par lequel je « vois ma propre pensée, et par le secours duquel je peux la redresser », l’enjeu est de laisser toute sa place à « cette part de réflexion par écrit qui n’entre pas nécessairement dans le cadre du livre tel que nous l’avions défini ». Se situer hors champ donc, à côté de nos habitudes de confort et de paresse. Habiter un espace vacant, neutre. Emmanuel Hocquard à sa manière reprend le rêve d’un Georges Perec, exprimé dans Espèces d’espace, d’imaginer un appartement dans lequel un espace resterait absolument inutile, « sans fonction ». Où se tenir dans un écart. Sortir du lyrisme, s’éviter « le retour aux états d’âmes narcissiques, à la petite mémoire et à la plainte individuelle qu’un sujet souffrant, plein de nostalgie (cette forme rampante du ressentiment) pousse devant lui comme le bousier coprophage ». Non pas ajouter à la littérature alors, mais soustraire au contraire, effacer, gommer jusqu’au trou.
Instaurer cette vacance de l’espace au coeur de l’écriture passe par une distance trouvée vis-à-vis de ses propres phrases. L’idéal, pour Emmanuel Hocquard, serait alors non pas d’écrire, ce qui fait toujours courir le risque de l’effusion poétique ou psychologique, mais bien plutôt de garder la distance en copiant, en recopiant, en décalant toujours, pour préserver cette « notion d’écart qui fait que soudain quelque chose qu’on ne voyait pas peut s’éclairer ou devenir lumineuse ».
Plus que de phrases alors, ses textes sont faits de ce qu’il appelle des « énoncés ». Sorties de leur contexte, lavées de toute « graisse individuelle », elles deviennent les fragments d’une fresque rendus à « leur éclat propre », posées sur la page à la manière d’un puzzle improbable, dont chaque fragment conserve sa capacité de brillance, hors lien, hors histoire, dans l’affirmation d’une incohérence.
Au « littéraire », Emmanuel Hocquard préfère en en effet le « littéral », à quoi pourrait correspondre l’état d’idiotie d’un Robinson Crusoë qui sur son île se souviendrait de sa propre langue, à laquelle cependant il serait devenu étranger. Recopier un énoncé, le prendre au pied de la lettre, le considérer pour ce qu’il est, pour rien que ce qu’il est, dans un étonnement, c’est bien se retrouver seul, face à l’étrange éclat de l’insignifiance.
D’une certaine manière, un peu comme Jean-Luc Godard qui dans son Éloge de l’amour se demande, « à quoi je pense quand je pense à quelque chose ? », Emmanuel Hocquard nous fait nous demander : « qu’est-ce que je lis quand je lis ? » Comment puis-je lire ce qui est écrit, ne lire que cela ? Opérant un peu le même déplacement que le ready-made de Marcel Duchamp effectue pour l’objet, il nous fait regarder ses énoncés comme on regarderait des heures à la fenêtre « dans l’espoir de parvenir à voir quelque chose d’autre que ce qu’on a appris à voir ».
Il y a là, c’est clair, une « intention de pauvreté », qui fait qu’on en arrive à se demander « comment dire les feuilles tombent/dans le poème/sans dire autre chose/que les feuilles tombent ». Ou bien à faire le constat lors d’une partie de pêche entre amis qu’ « aucune rivière n’a pas de berges ». Il y a, c’est également clair, de « grandes perspectives cachées » dans cette sorte de no man’s land littéraire qui fait qu’une liste des commissions est un poème, qui fait qu’on en vient à se demander ce qu’est une rivière, et qu’inévitablement on finit par tenir compte des libellules dont nous ne savons rien dire sinon qu’elles sont des libellules, ce qui est peu si l’on en arrive à se demander quelle notion du temps a une libellule qui ne sachant pas compter ne se situe pas dans la perspective de notre temps universel continu.
Emmanuel Hocquard fait l’idiot avec les mots, avec les idées, un peu comme un enfant. Oui, il prend ce risque-là, d’une sorte d’ignorance. Dans sa cabane, d’où il nous écrit quelques lettres, on l’imagine qui regarde les poules et ne s’en remet pas, rêvant au regard de la poule sur le monde comme à tout ce qui n’est pas dicible, qui n’est dicible que dans les blancs entre les phrases, dans cette tache blanche à la place du poème que traversent des poules, des goujons, des perroquets, des chèvres, des poissons rouges, d’autres poissons qu’on ne voit pas au fond de la rivière (mais c’est une autre histoire et ce livre est plein d’histoires qui ne ressemblent pas à des histoires, mais à la vie, à une vie avec une rivière notamment, la vie de quelqu’un qui n’écrirait pour ainsi dire pas).

Espèce d’idiot Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°35 , août 2001.
LMDA PDF n°35
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