Tout au long de l’entretien qu’elle nous a accordé chez elle en plein cœur de Paris, Danielle Mémoire n’aura de cesse de s’excuser de ne pas savoir parler de son travail. Fausse modestie ? Trois heures de conversation avec elle auront suffi à rejeter cette hypothèse. Danielle Mémoire est plus vraisemblablement un grand écrivain qui s’ignore. L’autosatisfaction n’est pas sa tasse de thé. Rares sont pourtant les auteurs qui comme elle, ont une vision globalisante de leur œuvre et autant de recul. Elle est aussi de ceux qui écrivent beaucoup, et qui jettent beaucoup pour mieux écrire, avec un souci de perfection.
Elle parle d’une « loi de la dispersion fictionnelle » et ses livres sont passionnants parce que justement, ils échappent aux lois traditionnelles du roman et même pire. Son univers d’écrivain est un peu déroutant au départ, assez complexe pour tout dire. Et pourquoi la difficulté ne serait-elle pas source de plaisir ? Le sujet de ses livres, c’est l’écriture ou plus précisément, la structure d’un livre. Pourtant, Danielle Mémoire n’est pas formaliste. Il y a tentative d’osmose entre ce qu’elle pense et ce qu’elle écrit. Pense-t-elle comme elle écrit ? Écrit-elle comme elle pense ? C’est peut-être un peu ça et elle s’en explique. « J’applique directement à la pensée la forme », écrivait-elle dans son roman Parmi d’autres (P.O.L 1991).
Danielle Mémoire a inventé son monde à elle, son Corpus. Elle invente l’auteur, les auteurs qui signent ses livres. Les personnages aux noms inattendus (Athanase, Eulalie Cyméa, Esclarmonde, Archambaud Blot, Conrad…) et les lieux fictifs (Brioine, Saint-Ulmère) sont légion. Ils sont aussi interchangeables, c’est-à-dire qu’ils peuvent tour à tour vivre la même histoire et même la revivre différemment. Tout cela cohabite comme ça peut, c’est-à-dire le mieux du monde. Rapidement, on ne se préoccupe plus de savoir qui est qui, qui fait quoi, on suit tout simplement les errances de l’auteur, son imagination féconde, ses digressions, ses raisonnements à l’emporte pièce.
Les Personnages est le troisième volume (après Modèle réduit et Bis repetita) d’une suite de textes appartenant à un projet d’ensemble. Il a l’apparence d’un livre-index des personnages du Corpus. À chacun d’eux, un paragraphe plus ou moins long est consacré et suivant, la pensée s’emballe, secondée par l’écriture, elle-même portée par la forme.
Explications.
Votre œuvre dans son ensemble me fait penser à cette phrase rencontrée dans Modèle réduit : « Déjà revenant sur nos pas. À peine partis, déjà revenant sur nos pas. » Les personnages rencontrés dans Les Personnages sont ceux de Modèle réduit (1999) et de Bis repetita (2000)… Il semble que vous aimiez par dessus tout écrire une chose puis son contraire et faire marche arrière… Est-ce un parti pris ?
J’ai plusieurs réponses, dont une toute faite que j’ai écrite sous la plume d’un personnage, Alfred, selon moi le pire de tous. Ce n’est pas une...
Entretiens Danielle Mémoire, contre toute certitude
avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34
| par
Marie-Laure Picot
Elle rêvait d’écrire un seul livre. Elle poursuit depuis 1984 une œuvre romanesque unique dont Les Personnages est le huitième volume publié. Rencontre.
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