Jean-Luc Lagarce est né en 1957 à Hérincourt. En 1975, il étudie la philosophie à Besançon et obtiendra sa maîtrise en 1981 en rédigeant Théâtre et Pouvoir en Occident. Il fonde en 1978 le Théâtre de la Roulotte et se consacre à l’écriture et la mise en scène. En 1986 il apprend sa séropositivité et décède en 1995.
Ce théâtre complet permet de tisser des passerelles entre les pièces de l’écrivain.
Les textes sont souvent courts. Les mots racontent et en même s’empêtrent avec une foison de parenthèses, de points de suspension, de digressions, de redites, d’arrêts brusques, d’absences, de silences. Comme une impossibilité à vraiment formuler.
« J’entrepris de ne raconter que ma propre impuissance à raconter… Et naturellement, cette impuissance, je fus impuissant à la raconter… Comme si, maintenant… je suis si fatigué… je ne devais que parler, moi aussi, et rien d’autre… le vide » conclut le personnage 1 dans Ici ou ailleurs.
Dans beaucoup de pièces, il ne se passe apparemment rien et pourtant le sentiment de la perte est de plus en plus présent. Des textes comme une ronde, sans début ni fin.
Et toujours cette distance. Les personnages se demandent si c’est à eux de prendre la parole. Les rires explosent soudainement comme privés de sens. Un voyage au cœur de l’absurde.
La disparition et même la non-apparition au monde hantent l’œuvre de Lagarce. Comme ces valets, ces rôles secondaires, des invisibles, « serviteurs de la pourriture ». L’écrivain indique à propos d’un personnage des Serviteurs, La fille de cuisine muette : « Personne ne fait attention à elle, pas même l’auteur ».
Une préférence toutefois pour Juste la fin du monde, refusé à l’époque par tous les comités de lecture, un petit bijou, un concentré de vie et de théâtre. Pour Joël Jouanneau qui vient de le mettre en scène : « Le cri existentiel ne se laisse pas facilement approcher par l’écrit. Ainsi, lorsqu’il apprend sa mort prochaine, qu’il sait l’ennemi en lui, le jeune homme qu’est encore l’auteur Jean-Luc Lagarce trouve refuge dans l’écriture. Face à la petite tragédie qu’est toute existence, il tente alors de traduire au plus près son cri. Par la langue. Et cela va produire, plusieurs mois après, Juste la fin du monde, une pièce considérable, sa plus belle pour moi, où il imagine/s’imagine un jeune homme à l’heure de mourir, et qui entreprend de retrouver sa famille, perdue de vue depuis longtemps, afin de lui annoncer la dure nouvelle. Il choisit un dimanche pour le faire, mais reviendra le soir même sans avoir rien dit. Du moins nous donne-t-il à comprendre, le jeune homme, que le silence est la seule réponse à la tragédie ».
Cette plongée dans le plus intime d’un être est bouleversante. L’ironie dramatique est à son comble puisque le lecteur sait la maladie, ignorée par les autres membres de la famille. Tous les mots, avec cette révélation qui n’arrive pas à se dire, prennent un sens terrible. Le parcours de cet homme pour apprivoiser la mort, les monologues qu’il livre, nous offrent une envie de vie, comme un ultime cadeau.
Théâtre Fragments d’éternité
avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34
| par
Laurence Cazaux
Avec quatre nouveaux ouvrages, Les Solitaires Intempestifs poursuivent l’édition de l’œuvre de Jean-Luc Lagarce à l’origine, avec François Berreur, de la maison d’édition.
Des livres
Fragments d’éternité
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°34
, avril 2001.