L’Homme au T apostrophe est un titre diablement énigmatique. On imagine d’abord un héros de roman populaire, un Fantomas, un Chéribibi. Ce n’est pas du tout ça. Sous cet intitulé, l’aquarelliste Amandine Doré dédie un livre à son époux Albert t’Serstevens, écrivain mémorable issu de la vieille noblesse belge.
Né en 1885, t’Serstevens s’était laissé oublier depuis son décès en 1974. Des rééditions ont tenté de ranimer son œuvre : Taïa, Les Corsaires du roi, L’Or du Cristobal. En 1995, L’Éther vague relançait même son premier livre, les Poèmes en prose de 1911 remarqués par le patron de Comoedia, Gaston de Pawlowsky qui invita leur auteur à conquérir Paris. À défaut de la biographie toujours attendue, les mémoires d’Amandine Doré, descendante du grand Gustave, éclairent d’un jour intime la figure de cet homme indépendant. Sa ligne de conduite fut d’en faire à sa tête. Jeune homme en rupture de ban de la bourgeoisie bruxelloise, t’Ser fut membre d’un phalanstère anarchiste avant d’obtenir le statut d’écrivain.
Romancier, traducteur des Priapées, du Prince de Machiavel et du fameux Livre de Marco Polo, il fut un authentique styliste doublé d’un franc-tireur. En 1972, il déclarait à la télévision : « Je me fous de la littérature, ça ne m’intéresse pas ». Pour lui, l’étude et les voyages primaient. Et l’amour. Le livre d’Amandine en est le fruit orné d’un inédit où t’Serstevens la peint tendrement sous les traits de « La Petite fille de saint François d’Assise ». Pour autant, le volume n’est pas destiné au seul usage familial, on y trouve des anecdotes sur le trio qu’il composait avec Abel Gance et Cendrars -t’Ser a consacré un livre à L’Homme que fut Blaise Cendrars (Denoël, 1972), et Picasso, Cocteau, Modigliani, le typographe Louis Jou jusqu’à ce Corse qui se fit passer dans son île pour l’auteur de ses livres. Restent aussi le chemin parcouru à deux, les séjours au Mexique, dans les Cévennes avec le chat Puma, le goût du sport attesté par la récente édition des Joies de plein air (Arléa, 144 pages, 95 FF). Une belle vie hors-les-murs.
L’Homme au T apostrophe
Amandine Doré
Éditions Durante
167 pages, 150 FF
Histoire littéraire La vie hors-les-murs
janvier 2001 | Le Matricule des Anges n°33
| par
Éric Dussert
Un livre
La vie hors-les-murs
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°33
, janvier 2001.