Elle s’appelait Anna Bronstein. Elle avait douze ans, des boucles châtain et des yeux bleus.« Elle vient d’arriver en garde d’Ostende, envoyée seule par sa mère, fuyant le nazisme. Eddy Devolder nous raconte sa vie en essayant de n’y mettre aucun pathos. Les faits suffisent. À Furnes, le notaire Streuvels, un ami de la famille, lui donne une nouvelle identité : elle sera sa nièce. Nouvelle maison, nouvelle vie et nouvelle langue : l’enfant souffre. Puis, la Belgique envahie, c’est chez la gouvernante que la jeune fille va s’installer et où il lui faudra rester cachée ; le notaire est exécuté. »Anna eut le sentiment qu’un invisible étau se resserrait.«
À la fin de la guerre, Anna découvre la réalité des camps et l’extermination de sa famille et se sent »confusément coupable d’avoir survécu« . De l’espoir de retrouver sa mère il ne reste rien : »elle voulait se taper la tête contre le mur tellement elle enrageait d’avoir à souffrir cette tenaillante douleur« . Fugues. Sur la route elle rencontre un chauffeur de camion qu’elle épouse, qui lui donne un enfant mort cinq jours après. Un an plus tard, un autre garçon naît qui manque de mourir aussitôt : »elle pensa que l’enfant était mort. Lorsque l’accoucheuse lui présenta un bébé gigotant et braillard, elle se dit que ce n’était pas le sien (…). On avait beau lui dire que l’enfant lui ressemblait, elle était persuadée qu’on lui demandait de jouer la comédie et elle s’exécuta.«
La deuxième partie du livre s’écrit à la première personne du singulier. L’enfant, c’est lui, le narrateur. Enfant terrible qui, en mal de preuves d’affection, ne cesse de torturer sa mère. L’enfant va vivre chez sa grand-mère : »Lorsque ma mère venait le dimanche, je la considérais comme une étrangère (…). La dernière fois que je l’ai vue, j’ai hésité à l’embrasser (…)."
Le texte s’écrit délicatement, avançant avec le narrateur dans un puzzle où manque la pièce essentielle. La rencontre avec le sculpteur Léo Wauters offre au jeune homme une nouvelle image de sa mère à laquelle est attachée la figure de Paul Celan. Et c’est la poésie, au bout de ce livre essentiel qui donnera l’accès au monde de celle qui manque.
Anna Streuvels
Eddy Devolder
Esperluète éditions
107 pages, 95 FF
Domaine français Ma mère cette inconnue
janvier 2001 | Le Matricule des Anges n°33
| par
Thierry Guichard
Un livre
Ma mère cette inconnue
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°33
, janvier 2001.