D’Olivier Gadet, éditeur singulier de la maison Cent pages, on connaissait la plume tranchante et pamphlétaire de J’emmerde le monde, libelle pourfendant les rédacteurs du « mondélivres ». Aujourd’hui, autre face d’une figure intransigeante, voici un roman, Le Fredon, dont il ne faudra pas attendre, non plus, qu’il caresse son monde -et le lecteur- dans le sens du poil consensuel.
Un homme, vieux, malade, soliloque dans un « cabanon », perdu au cœur d’un douteux pays normand à la géographie de girouette. Pour recevoir, comme un crachoir, la parole interminable de cet homme revenu de tout, de rien, « non avenu », un fils, muet, improbable. Entre eux, sur ce qui se dit, un soupçon constant qui flotte et renforce la seule évidence martelée, entêtante, du discours du père : « nous parlons mais nous ne disons rien de bien neuf ».
À la noirceur du propos -« chacun vaque dans sa propre souffrance, chacun pend au bout de sa corde »-, l’humour noir fait écho -« avant, les temps n’étaient pas forcément meilleurs mais plus reculés ». C’est un peu une scène d’un théâtre à la Beckett, portée par une langue dont la phrase évoque Bernhard ; un peu de cela poussé par un jusqu’au-boutisme qui ne s’autorise ni le brio de la pensée, ni l’esthétisme : un état de langue, proche de la déréliction.
Voilà au pied de la lettre, une littérature de l’épuisement. Face à l’épuisé qui jouit encore de la parole en proclamant « Rien de ce qui se dit ne m’intéresse, rien de ce qui se raconte ne retient mon attention. Il y a la pluie, il y a le beau temps, les nouvelles le petit va-et-vient », nouveau type de bavard, se développe un texte du refus, du piétinement, qui, sur une arête, ressasse le lieu commun pour l’épuiser.
« Rien de bien neuf », pas si sûr. Le lecteur, même abasourdi, énervé par un texte qui le rejette jusqu’à frôler le pied-de-nez, résistant, aura vécu une plongée radicale dans l’espace ténébreux que peut ouvrir et arpenter une parole malade et « désœuvrée ».
Olivier Gadet
Le Fredon
Climats
165 pages, 80 FF
Premiers romans Fin de partie
mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30
| par
Pierre Hild
Un livre
Fin de partie
Par
Pierre Hild
Le Matricule des Anges n°30
, mars 2000.