Contrairement à leurs collègues albanais (qui s’expriment dans la même langue) les écrivains kosovars ne sont guère traduits en français. Saluons donc la parution par chez nous de ce premier recueil d’Eqrem Basha (né en 1948) sur lequel planent comme on pouvait s’y attendre les ombres de la guerre et de l’ethnocide qui ravagèrent durant dix années son malheureux pays.
Lorsqu’on représente un peuple dont fut planifiée la totale extermination, il n’est certes guère aisé d’éviter les écueils d’une littérature de pur témoignage. De fait, le lecteur ne trouve tout d’abord dans le présent ouvrage que fort peu de chair textuelle à ronger autour de l’os des paraboles les six premières nouvelles noyées de ténèbres et de brouillard, peuplées de vivants plus morts que les défunts, sans oublier quelques taupes rebelles et autres escargots obstinés, disent sans excessive subtilité le destin d’une nation martyre. Les choses s’arrangent peu à peu jusqu’à ce que l’auteur donne la pleine mesure de son talent dans la dernière partie du volume. Entre un huis clos beckettien (Les Guetteurs du vide), un texte daté de 1994 très troublant tant il annonce les événements à venir jusqu’à l’intervention de l’OTAN (Sale engeance) et un bel exercice de style (Histoire de l’ombre à la fenêtre et du point noir qu’elle voyait rouler au loin), mention spéciale pour À crever de rire, fable digne des meilleurs spécialistes du genre sur une fatale épidémie d’hilarité dans une ville qui pourrait bien être Pristina, chef-lieu du Kosovo : « Aujourd’hui encore, ses habitants se distinguent par des mines renfrognées, graves, revêches, bourrues, irritées, torturées. Cela est hors du commun, stupide, direz-vous, bon à secouer le ventre et à faire pouffer de rire -ah ! ah ! ah ! Mais prenez garde ! »
Les Ombres de la nuit
Eqrem Basha
Traduit de l’albanais par
Ch. Montécot et A. Zotos
Fayard
207 pages, 98 FF
Domaine étranger Rires dans la nuit
janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29
| par
Eric Naulleau
Un livre
Rires dans la nuit
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°29
, janvier 2000.