Né en 1929 à São Paulo, au Brésil, Haroldo de Campos aime à dire qu’il habite toujours la rue Monte Alegre (Butte joyeuse), tout près d’Augusto (de Campos) et Décio (Pignatari), ses deux confrères d’aventures poétiques. Fondateur avec ses amis de la revue Noigrandres, lieu des expérimentations du mouvement d’avant-garde de poésie concrète (1950-60) et antidote à la poésie lyrico-confidentielle, ce septuagénaire, essayiste, sémiologue, traducteur de Joyce, Pound, Maïakovski, Mallarmé et Dante, n’a rien perdu de sa force ni de son souffle. Avec la traduction de Galaxies, on s’aperçoit que son coffre en vaut la chandelle, que son rythme est tout aussi sûr et puissant que celui des vétérans de courses de fond.
A 23 ans, alors qu’Haroldo de Campos a fini son droit, lui et ses acolytes proclament leur filiation avec les modernes les plus radicaux de l’époque, ceux que l’on appelait les poètes de la semaine de 22, Oswald de Andrade en tête. En plus de se réclamer de Mallarmé et de son coup de dé, de la méthode idéogrammatique de Pound, des réflexions du poète-linguiste Roman Jakobson sur la matérialité du langage poétique, le groupe des Noigrandes trouve chez Oswald de Andrade l’expression même de sa « raison anthropophagique ». Il s’agira pour eux de ne plus concevoir le legs culturel du Brésil selon l’angle du bon sauvage élevé par les inquisiteurs et colons européens, mais de revenir à l’Histoire noire de ce pays, au mauvais sauvage mangeur de blancs. Ce que de Campos nomme lui-même « une pensée de la dévoration critique du legs culturel ». Toutefois, l’aventure ne s’arrête pas là. Le petit groupe considère en effet que le travail poétique est une puissance globalisante, qui se doit de composer avec tous les temps et lieux de création, d’Homère à Pessoa, en passant par Dante ou Hölderlin. Son influence ne tardera pas à se faire sentir en Europe, mais aussi dans l’Amérique hispanique ou au Japon. Haroldo de Campos formulera, par ses premiers recueils ou de façon plus didactique dans Théorie et pratique du poème (1952), une « véritable esthétique du néobaroque ». Galaxies la confirme totalement. Composé de cinquante poèmes de pleine page, sur un format A4, ce livre se lit comme un seul et même long poème du monde. Les vers tiennent des rythmes endiablés ; d’une vitesse incroyable ils emboîtent des multiplicités d’univers dans les sensations les plus infimes des sens. Mais cette suite de poèmes, écrite sur plus de treize ans, n’a rien d’un laisser-aller. Au contraire, et selon le titre de son premier livre en français, Galaxies est une véritable Éducation des cinq sens (Éd. Plein Chant, 1989). Il agence des forces de langues comme un horloger, ouvre les yeux, libère l’oreille des cires, nous place dans la vibration déstabilisante de toute relativité : « on creuse des milles en dedans/ et on sort à l’endroit où on était on échange des diamants purs contre du charbon cassonade/ qui le sait dans ce charbon-là se trouve la poudre diamantaire la mère des/ diamants morgana du lapidaire et le môme s’en alla et la légende ne raconte pas/ sa destinée s’il revint s’il ne revint pas s’il y a retour de cet aller (…) ». C’est l’alchimie de Galaxies, sa force noire, que de nous faire entrer dans ce kaléidoscope-là, et comme un tournoiement d’atomes, dans la géométrie des énergies pures.
Galaxies
Haroldo de Campos
Traduit du brésilien par
Inês Oseki-Depré et l’auteur
Éditions La Main Courante
120 pages, 95 FF
Poésie Cosmogonique
janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25
| par
Emmanuel Laugier
Publication de Galaxies, poème babélien d’Haroldo de Campos, poète et théoricien brésilien du mouvement de poésie concrète des années 50-60.
Un livre
Cosmogonique
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°25
, janvier 1999.