La lecture de cette anthologie volumineuse provoque admiration et irritation. Admiration devant, plus encore que le travail, la foi dont fait preuve Joseph Rouffanche. L’anthomologiste, non content de choisir des textes parmi les œuvres de douze poètes limousins, accompagne chaque présentation d’un appareil critique conséquent. Surtout, l’ouvrage s’ouvre par une très longue introduction où Joseph Rouffanche, à coups de dizaines (centaines ?) de citations explore l’univers de la poésie dans ce qu’il a de malade (l’éducation, la critique, les média, les poètes de la modernité, etc.). Si ce travail s’appuie sur toute une vie de militant, on n’en demeure pas moins agacé par plusieurs idées et lieux communs. A commencer par l’hypothèse de départ qui voudrait qu’on ne lise plus, aujourd’hui, de poésie. Idée qui laisse supposer qu’on en lisait bien plus il y a trente ou quarante ans
Parmi les causes évoquées de cette prétendue crise, Joseph Rouffanche jubile à citer les jugements assassins que certains portèrent à l’encontre des poètes de la modernité comme Denis Roche. Querelle d’école, de générations, de sensibilités ? Cela suffirait à prouver, a contrario, que la poésie est bien vivante. Si l’auteur use de peu d’arguments en son nom propre, il en utilise malencontreusement un qui se retourne contre lui : le dernier tort de Denis Roche aura été de se publier dans la collection Fiction et C° qu’il dirige au Seuil. Crime déontologique semble dire Rouffanche sans ce rendre compte qu’il commet, peu ou prou, le même délit en s’incluant dans sa propre anthologie, s’offrant plus de cinquante pages d’autoprésentation sous forme de citations de lettres et articles. Quant aux textes des douze poètes, leurs qualités sont bien irrégulières. L’humble regard d’un Jean-Pierre Thuillat (« dans les yeux des hiboux/ cligne une lune/ rousse. ») tranche avec les mignardises de Paule Laborie (« L’aube aux doigts de jasmin/ qui épingle/ un autre nouveau-né/ sur la carte du destin ») et l’on se demande si une anthologie poétique fondée sur une identité régionale était vraiment nécessaire.
12 poètes, 12 voix(es)
Joseph Rouffanche
Cahiers de poésie verte
534 pages, 165 FF
Poésie Les apôtres du vers
juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23
| par
Thierry Guichard
Un livre
Les apôtres du vers
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°23
, juin 1998.