Legarçon, partie intégrante de la comète Sex Vox Dominam et Mon Beau Jacky, est un livre de la sous-vie de l’âme, de la vraie vie d’un écrivain. N’y venez surtout pas pour conforter vos certitudes.
Barthes distinguait les écrivants des écrivains. Sans essayer d’épiloguer sans fin, on peut simplifier la définition en disant qu’un écrivant écrit un livre tandis qu’un écrivain est écrit par lui. Ce qui se passe pour Morgiève. Sex Vox Dominam ne ressemble à rien de connu. Nous sommes donc en présence d’une nouvelle entité que nous nommerons sans hésiter Richard Morgiève. Peu de temps après, sort Mon Beau Jacky. Thème différent mais même position marginale. Maintenant legarçon. Qu’il serait facile de parler de cycle, de trilogie, de période. Le point commun évident de ces trois livres est le style. La phrase est concassée, la ponctuation rythmée par un souffle extraterrestre, le vocabulaire pauvre et répétitif, la syntaxe explosée. On pourrait objecter le sourire aux lèvres qu’il s’agit de coquetterie, de démarcation facile, d’originalité à deux sous. Ce qui serait vrai si de ces livres ne se dégageait pas une certaine authenticité, ou sincérité. Ou plutôt cohérence. Une cohérence externe à toute raison, interne à chaque individu. Par sa volonté spectaculaire de démolir la tradition, l’académisme, Morgiève essaie désespérément d’atteindre une zone inconnue de tous et de lui-même. De faire apparaître ce qui coexiste en chacun de nous : un magma insoutenable de perversion et de pureté extrême.Extrait de legarçon : « il se rencontre ? dans un bout de miroir. il est en haut de la montagne de vieux papier il. se croise ? dans le bout de glace il fume il sait pas pourquoi il se guette. il se demande s’il ressemble à un ordinaire. est-ce qu’un chien peut ressembler à un ordinaire ? Ce garçon n’est pas nommé, jamais car comment "ça vient un nom ? il faut un événement ? ou alors c’est quelqu’un qui nomme. qui pourrait le nommer ? (…) il lui arrive de penser qu’il peut mourir sans nom. toute une sous-vie sans nom. puis la mort. la mort est le nom de tous. » Notre garçon ne vit pas, il sous-vit, il non-vit. Il est maltraité, prostitué, avance dans le temps comme un chien, dans une histoire invraisemblable où la réalité est (disons-le par euphémisme) mise de côté. Alors pourquoi ce livre ? Morgiève n’écrit pas par hasard, il peut le faire sur commande dans le cas de ses scénarii, mais certainement pas dans le pré carré de sa littérature. Morgiève éjacule en écrivant une jouissance issue d’un fantasme indicible. Cette sous-vie de legarçon est la vie de l’âme, de son âme, de celle de chacun, Morgiève de le sait pas lui-même, qu’avions-nous dit ? Ah oui, un écrivain est écrit par son livre. Cette infâme façon de vivre est le désespoir de la solitude totale de chacun de nous. Solitude jaillie d’une fusion préhistorique à jamais brisée. Legarçon recherche lafille pour un espoir jamais formulé de réparation impossible, mais la porte est entrouverte, qui sait ce qui se trouve derrière ?
« un jour ou l’autre il arrivera dans cette grande ville d’argent. Il passera dans devant le bar où il avait essayé d’échapper à pite et beule. un peu plus loin lafille fera la pute de nuit. il s’approchera d’elle. il lui dira viens.je ne peux pas, elle murmureramais elle viendrace n’est qu’un problème de temps. et maintenant legarçon sait que le temps passe et que l’homme passe avec le temps. il n’a pas d’autre choix que d’être en ce moment de vie. il n’y a pas d’autre avenir que le présent. pas d’autre temps pour l’homme que le présent. »
Voilà.Si vous cherchez Morgiève, fermez un peu les yeux et la silhouette de dos qui chantonne en s’éloignant : I am a poor lonesome writer, c’est lui.
legarçonRichard Morgiève
Calmann-Lévy208 pages, 92 FF
Domaine français Morgiève lécrivain
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Alex Besnainou
Un livre
Morgiève lécrivain
Par
Alex Besnainou
Le Matricule des Anges n°21
, novembre 1997.